Premier cours : OBJET DE LA STYLISTIQUE, SES LIENS AVEC D’AUTRES SCIENCES (SUITE)
En 1909, Charles Bally, adepte de 1'école saussurienne de Genève, publie son Traité de stylistique française où il propose sa définition de 1'objet de la stylistique: « La stylistique étudie les faits d'expression du langage du point de vue de leur contenu affectif, c'est-à-dire 1'expression des faits de la sensibilité par le langage et 1'action des faits de langage sur la sensibilité». Ainsi, c'est le contenu affectif du langage que Bally considère en tant qu'objet de la stylistique. Bally s'attache à 1'étude du français tel qu'on le parle, refusant de s'interroger sur 1'emploi qu'en font les écrivains, ce qu'il croit être un problème de critique littéraire débordant du cadre des recherches stylistiques. Comme méthode principale de recherche stylistique, Ch. Bally recommande d'établir les différences des formes susceptibles d'exprimer les mêmes idées dans la pratique discursive. Mais la littérature a continué à intéresser les stylistes. En 1941, Jules Marouzeau, philologue français, a publié son cours sommaire de stylistique française intitulé Précis de stylistique française. Nous у trouvons une conception de 1'objet et des tâches de la stylistique qui diffère de celle de Ch. Bally. Selon Marouzeau, cette science est appelée à étudier les principes du choix des faits d'expression en partant du but et des circonstances de 1'énoncé mais en se basant sur des échantillons des textes littéraires.
Guidé par ce principe, Marouzeau dresse un inventaire des ressources expressives du français littéraire, accompagné d'exemples tirés de préférence de bons auteurs: emploi des sons, des mots, des catégories grammaticales, construction de la phrase, versification. A cet inventaire Marouzeau ajoute quelques remarques sur les particularités de style propres aux différents genres littéraires (prose et poésie) ainsi que sur les caractères essentiels des styles du français parlé et écrit. De nombreux savants ont participé à l’évolution de la stylistique française. Parmi les auteurs du XX siècle ce sont notamment Mitterand, Martinet, Géorgin, Guiraud. Au cours du XX siècle, les principes et les méthodes des recherches en ce domaine ont été élaborés de manière exhaustive, la définition de 1'objet et des tâches de la stylistique en tant que science philologique se trouvant complétée par une approche communicative. La divergence qui caractérise néanmoins certains points de vue sur les concepts fondamentaux de la stylistique témoigne de la complexité de cette science.
Définition de la notion du style
A l’heure actuelle l'interprétation du sens du terme style acquiert un caractère de plus en plus vaste. Cette notion s’associe à de nombreuses qualifications: un style peut être émotionnel, prétentieux, solennel, classique, romantique, administratif, épistolaire… etc. On parle aussi du style de Flaubert ou de Pouchkine; du style d’un roman, du style pictural et musical ainsi que du style vestimentaire et même du style de comportement de tel ou tel individu.
Il est vrai que dans la linguistique française il existe peu de notions qui se heurtent à tant de difficultés de définition, que les termes «stylistique» et «style». Qu’est-ce que la stylistique, le style ? Le terme « style » s'emploie pour toutes les formes d'art et désigne la manière originale de travailler d’un artiste à une époque donnée. Style s'emploie pour désigner une caractéristique d'un texte selon le type d'expression : on peut parler de style lyrique, épique, etc. Style désigne aussi la manière dont un écrivain met en œuvre la langue (sa langue). L'écrivain peut aussi s'inspirer du style des autres écrivains (ou propres à d'autres époques).
Dans le cadre de cette vision la stylistique est la discipline qui a pour objet le style, les procédés littéraires, les modes de composition utilisés par tel auteur dans ses œuvres ou les traits expressifs propres à une langue. L'étude stylistique d'un texte permet de mettre en évidence les moyens mis en œuvre par un auteur, dans un cadre générique déterminé, pour faire partager une vision spécifique du monde (c'est-à-dire ce qui est dit, raconté).
L'analyse stylistique d'un texte repose généralement sur l'étude de l'élocution, c'est-à-dire, l'étude du vocabulaire, des figures de style, de la syntaxe, etc. tout en conciliant la forme et le fond (= le sens). Ce qui fonde l'étude stylistique d'un texte est la conviction que chaque texte littéraire véhicule une vision subjective, c'est-à-dire une vision non neutre.
Le savant français P.Guiraud écrit dans sa Stylistique (La collection “Que sais-je?», Paris, PUF, 1963, p. 6): «Les dictionnaires nous proposent sous ce mot une vingtaine de définitions dont les principales vont de manière d’exprimer sa pensée à manière de vivre…A sa limite le style définit le caractère spécifique de l’action…». Dans cette optique la notion du style est liée à l’idée de la variabilité et de la possibilité du choix dans tous les types de l’activité humaine y compris dans l’activité verbale. P.Guiraud écrit: ”Chaque fois que nous avons quelque chose à dire, la langue nous offre plusieurs façons différentes de le dire. Tout le problème du style est là.”
Les approches les plus répandues à la notion du style se réduisent à 3 aspects:
1. Le style est la vision individuelle du monde qui caractérise l’œuvre de tel ou tel écrivain. «Le style, c’est l’homme».
2. Le style est le choix conscient des formes linguistiques pour transmettre un message. «Le style, c’est le choix».
3. Le style correspond à un écart par rapport à la norme neutre.
«Le style, c’est l’expressivité».
D’un point de vue purement linguistique, le style se présente sous deux aspects principaux, en tant que catégorie appartenant au niveau de langue et en tant que catégorie appartenant au niveau discursif, niveau du fonctionnement réel du langage dans la sphère communicative.
La langue qui inclue tout un répertoire d’éléments linguistiques hiérarchisés suppose l’existence des moyens stylistiques dans l’ensemble de ses faits lexicaux, grammaticaux ou phonétiques. La différenciation stylistique des faits de langue est possible grâce à la présence dans leur signification d’une valeur stylistique qui les marque comme sublimes ou familiers, recherchés ou vulgaires. Ainsi, firmament est sublime, alors que fric est relâché, et nana est vulgaire. La langue dispose des moyens différents pour désigner un même contenu dénotatif (cl. automobile, voiture, bagnole). Le système de langue inclue un grand nombre d’éléments qui attribuent une valeur stylistiquement marquée à telle ou telle unité linguistique (vivre est neutre alors que vivoter est expressif, chauffeur est neutre alors que chauffard est péjoratif).
Le discours en tant que manifestation concrète de la langue dans une situation déterminée est le domaine qui assure la réalisation de la valeur stylistique dans la communication verbale (ce qu’on appelle «actualisation stylistique »). C’est le discours qui attribue une valeur stylistique aux éléments linguistiques considérés comme neutres au niveau de la langue. Ainsi le mot friture n’a pas de valeur stylistique marquée, mais étant employé dans la phrase Il y a de la friture dans le téléphone (On entend un bruit dans l’appareil), il acquiert une valeur familière qui rend toute la phrase expressive et imagée. Comparez aussi les emplois stylistiquement marqués du mot chien: Cette robe a du chien, Il est très chien avec ses subordonnés.
Le style pourrait être défini comme un ensemble structuré des procédés linguistiques qui ont été choisis par le sujet du discours parmi, d’autres variantes possibles afin de réaliser la fonction communicative dans une sphère d’activité déterminée. Ainsi, le style reflète la dialectique du choix des procédés linguistique en vue de construire un énoncé correspondant à l’intention du sujet parlant. Envisagé sous un angle littéraire, la notion du style entend un vaste domaine des faits esthétiques formant la spécificité du style d’un courant littéraire, d’un écrivain ou d’une œuvre déterminée. Pour la stylistique un texte littéraire est en premier lieu une œuvre d'art qui devient 1'objet principal des recherches. Cette branche de la stylistique étudie 1'œuvre dans sa totalité ou bien analyse ses éléments du point de vue de leur fonction esthétique.
La fonction esthétique sert de notion fondamentale définissant la spécificité de la branche littéraire de la stylistique. Cette fonction est propre à 1'œuvre littéraire prise dans sa totalité, mais chacun de ses éléments concourt à créer un effet stylistique recherché, formant un tout indissoluble régi par 1'intention esthétique de 1'auteur. Chaque moyen d'expression employé dans une œuvre littéraire peut être étudié de deux façons: dans le cadre d'un contexte limité qui ne révèle que sa fonction stylistique typique ou dans une perspective plus large à partir de toute la structure artistique du texte. Cette seconde approche est surtout caractéristique pour la stylistique littéraire.
- Enseignant: Dounia Djerou