Quelques courants d’analyse du discours

En France, dans la seconde moitié des années 1960, le développement de l’analyse du discours s’est partagé entre deux courants très différents. On peut ainsi identifier une « École française » marxiste dont la figure de proue était Michel Pêcheux (Analyse automatique du discours, 1969), très influencé par le philosophe Louis Althusser et la psychanalyse de Jacques Lacan. À l’opposé de cette approche qui traquait une sorte d’inconscient des textes, le philosophe Michel Foucault a élaboré dans L’Archéologie du savoir (1969) une problématique du discours qui mettait l’accent non sur des contenus cachés mais sur les dispositifs de communication eux-mêmes, sur la dimension institutionnelle du discours. Foucault n’est pas à proprement parler un analyste du discours, mais sa pensée a exercé une influence croissante sur de multiples recherches en analyse du discours.

Aux États-Unis, un certain nombre de courants se situent à la croisée de l’anthropologie et de la linguistique : c’est le cas de « l’ethnographie de la communication » (D. H. Hymes et J. Gumperz, Directions in Sociolinguistics. The Ethnography of Communication, 1972) qui place au centre de la réflexion la compétence de communication, l’aptitude qu’ont les locuteurs de produire et d’interpréter des énoncés appropriés aux multiples situations dans une culture déterminée. L’activité verbale y est appréhendée comme un comportement social constamment évalué par autrui.

C’est une vision de l’activité linguistique qui s’oppose fermement à celle que défendait à la même époque avec succès N. Chomsky, dont la grammaire générative reposait sur la notion de « compétence linguistique » d’un « locuteur-auditeur idéal. »

Un autre courant, sociologique cette fois, a laissé durablement son empreinte sur l’analyse du discours, plus précisément sur l’analyse des conversations : l’ethnométhodologie (H. Garfinkel, Studies in

Ethnomethodology, 1967). Les tenants de cette approche considèrent que les individus, pour se faire reconnaître comme membres légitimes de la collectivité, participent à la définition des situations où ils sont impliqués et y mettent en œuvre des procédures de gestion de leur communication.

L’ethnométhodologie se donne comme une discipline qui étudie la manière dont ceux qui participent à une activité sociale lui attribuent son intelligibilité propre. Il ne s’agit pas d’observer de l’extérieur les phénomènes, mais de s’intéresser en quelque sorte de l’intérieur à la façon dont se construisent les caractéristiques des phénomènes que l’on observe. On doit ainsi décrire les catégories qu’un groupe se donne pour mettre en ordre les activités sociales.

C’est dans cette perspective que l’ethnométhodologie a accordé un rôle central à la conversation, considérée comme un des moteurs de la reconstruction ininterrompue de l’ordre social par les individus (H. Sacks, Lectures on Conversation, 1992).

Parallèlement à ces démarches d’inspiration sociologique ont été menées des recherches plus proprement linguistiques, qui mettent au premier plan la question de la structure des conversations : la hiérarchie des unités dont elles sont constituées. On signalera en Grande-Bretagne les travaux pionniers de J. McH. Sinclair et R. M. Coulthard (Toward an Analysis of Discourse, 1975) et ceux en Suisse francophone d’Eddy Roulet (L’Articulation du discours en français contemporain, 1985). Dans de telles approches on s’inspire à la fois de la linguistique textuelle (une conversation est un réseau d’unités qui s’appuient les unes sur les autres) et de la théorie des actes de langage (dans une conversation les interlocuteurs s’efforcent d’agir l’un sur l’autre).

Dans les années 1980 a émergé le courant appelé « analyse critique du discours » (Critical Discourse Analysis), qui a pour objectif d’étudier la manière dont le langage peut être utilisé à des fins jugées négatives, d’un point de vue éthique, en règle générale à l’insu des locuteurs. On citera en particulier les noms de N. Fairclough, T. van Dijk et R. Wodak. Ils analysent par exemple les stratégies par lesquelles la presse véhicule des préjugés racistes ou sexistes (T. A. van Dijk et al., Communicating Racism. Ethnic

Prejudice in Thought and Talk, 1987), ou le rôle du discours dans la reproduction des inégalités sociales à l’école. Ce type de recherches est aux confins de la linguistique appliquée. C’est avant tout le souci de remédier à un certain nombre de dysfonctionnements sociaux, et non une méthodologie propre, qui le caractérise. S’il relève de l’analyse du discours, c’est parce qu’il part du postulat que le langage joue un rôle essentiel dans la mise en place des cadres qui conditionnent notre appréhension du monde et dans la légitimation des comportements, à tous les niveaux : du plus individuel au plus collectif.


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