Cadrage théorique

Dans Genèses du discours en 1984, avant de mettre en place la notion d’archive, Maingueneau montre comment naît un discours, comment il se structure en un ensemble cohérent et en un espace intellectuel homogène qui perdure au-delà des variations individuelles et temporelles. Il pose et définit les trois concepts centraux de l’AD (p. 10), avant de formuler sept hypothèses qui constituent un programme de l’AD toujours en vigueur.

Trois concepts fondamentaux. Ce sont la formation discursive (héritée de Foucault), la surface discursive et le discours :

-   La formation discursive est un « système de contraintes de bonne formation sémantique ».

-   La surface discursive est l’« ensemble des énoncés produits conformément à ce système ».

-   Le discours est la « relation qui unit les deux concepts précédents ». C’est un « ensemble virtuel, celui des énoncés productibles conformément aux contraintes de la formation discursive ».

1. L'appareillage conceptuel et méthodologique

 

 

Cadrage théorique : le programme de D. Maingueneau

 

Dans Genèses du discours en 1984, avant de mettre en place la notion d’archive, Maingueneau montre comment naît un discours, comment il se structure en un ensemble cohérent et en un espace intellectuel homogène qui perdure au-delà des variations individuelles et temporelles. Il pose et définit les trois concepts centraux de l’AD, avant de formuler sept hypothèses qui constituent un programme de l’AD toujours en vigueur.

 

Trois concepts fondamentaux. Ce sont la formation discursive (héritée de Foucault), la surface discursive et le discours :

-       La formation discursive est un « système de contraintes de bonne formation sémantique ».

-       La surface discursive est l’« ensemble des énoncés produits conformément à ce système ».

-       Le discours est la « relation qui unit les deux concepts précédents ». C’est un « ensemble virtuel, celui des énoncés productibles conformément aux contraintes de la formation discursive ».

 

1.1 Sept hypotheses :

-           Discours et interdiscours. La posture fondamentale de l’AD implique d’étudier les productions discursives en tant qu’elles sont informées par d’autres, captées par les locuteurs sur le mode de l’héritage (le discours contemporain sur l’école se construisant sur les héritages de celui de l’école républicaine du XIXe s.) ou sur le mode de l’échange :

 

« L'interdiscours prime le discours. Ce qui revient à poser que l’unité d’analyse pertinente n’est pas le discours mais un espace d’échanges entre plusieurs discours convenablement choisis. »

 

-           L'intercompréhension. Aucun discours n’est homogène et maîtrisé par les locuteurs sous la forme d’une expression purement personnelle. Le discours de l’Autre est constitutif du discours de Soi :

 

« Le caractère constitutif de la relation interdiscursive fait apparaître l’interaction sémantique entre les discours comme un processus de traduction, d’intercompréhension réglée. Chacun introduit l’Autre dans sa clôture en traduisant ses énoncés dans les catégories du Même et n’a donc affaire à cet Autre que sous la forme du “simulacre” qu’il en construit. »

 

-           Le système de contraintes. Il y a dans les discours des marques, explicites ou implicites, de leur intégration dans telle ou telle formation discursive :

 

« Pour rendre compte de cet interdiscours on pose l’existence d’un système de contraintes sémantiques globales. Le caractère “global” de cette sémantique se manifeste par le fait qu’elle contraint simultanément l’ensemble des “plans” discursifs : aussi bien le vocabulaire que les thèmes traités, l’intertextualité ou les instances d’énonciation. »

 

Dans le discours politique par exemple, on trouvera la présence d’un vocabulaire spécifique et récurrent (variantes et inventions autour de démocratie par exemple), de métaphores naturalisées (« le char de l’État navigue sur un volcan » au XIXe s., plus récemment le cancer du terrorisme, la vague rose), de références aux discours des fondateurs (Jaurès, de Gaulle…) et des marques énonciatives particulières (le nous politique).

-           La compétence interdiscursive. Les locuteurs mettent en œuvre, souvent inconsciemment, des compétences de parole intériorisées, dépendant de leur milieu, leur formation, leur éducation :

 

        « Ce système de contraintes doit être conçu comme un modèle de compétence interdiscursive. […] Nous postulons chez les énonciateurs d’un discours donné la maîtrise tacite de règles permettant de produire et d’interpréter des énoncés relevant de leur propre formation discursive, et, corrélativement, d’identifier comme incompatibles avec elle les énoncés des formations discursives antagonistes. »

      

-           La pratique discursive. Le discours ne saurait se réduire à un ensemble d’énoncés abstraitement décontextualisés, mais constitue bien une pratique, sociale, culturelle, intellectuelle, technique :

 

« Le discours ne doit pas être pensé seulement comme un ensemble de textes, mais comme une pratique discursive. Le système de contraintes sémantiques, au-delà de l’énoncé et de l’énonciation, permet de rendre ces textes commensurables avec le “réseau institutionnel” d’un “groupe”, celui que l’énonciation discursive à la fois suppose et rend possible. »

 

-           Une pratique intersémiotique. Le discours n’est pas une production pure, i.e. ne relève pas que de lui-même, mais s’articule sur d’autres systèmes de signes :

« La pratique discursive ne définit pas seulement l’unité d’un ensemble d’énoncés, elle peut aussi être considérée comme une pratique intersémiotique qui intègre des productions relevant d’autres domaines sémiotiques (pictural, musical, etc.). »

-           L’inscription socio-historique. Le discours n’est pas autarcique par rapport aux données sociales et historiques, mais se construit par rapport à elles, de même que ces données sont également configurées par les discours :

« Le recours à ces systèmes de contraintes n’implique nullement une dissociation entre la pratique discursive et d’autres séries de son environnement socio-historique. Il permet au contraire d’approfondir la rigueur de cette inscription historique en ouvrant la possibilité d’isomorphismes entre le discours et ces autres séries sans pour autant réduire la spécificité des termes ainsi corrélés. La formation discursive se révèle donc « schème de correspondance » entre des champs de prime abord hétéronomes. »

 

Ce programme de l’AD a évidemment évolué dans les vingt dernières années, à l’intérieur même des travaux de Maingueneau. Mais il constitue toujours un socle théorique et méthodologique efficace pour les recherches actuelles et à venir.

2. Perspectives de l’AD : les chantiers ouverts

 

Comme toute discipline s’appuyant sur l’étude de productions authentiques, l’AD évolue à mesure que les corpus se transforment ou se construisent, mais aussi, comme le souligne Maingueneau, en fonction de « la relation qu’entretient la société avec ses productions discursives » (1995 : 11). On peut distinguer dans la recherche actuelle quelques orientations qui privilégient ou construisent certains objets d’étude :

-    la théorisation du discours (Moirand, 1996), des genres de discours (Adam, 1999), de la notion d’ethos (Maingueneau, 1999) ;

-    les paramètres de production des savoirs et des croyances : construction des idéologies, problématique du sens commun et de la doxa (Sarfati, 1995, 1999, 2002) ;

-    les lieux de construction des discours : langages du politique (l’équipe de la revue Mots), discours des institutions (par exemple de l’Église : Sarfati, 2000, de l’armée : Paveau, 2000), discours sociaux (Rinn, 2002) ;

-    les marques énonciatives et d’organisation formelle ; discours de transmission des connaissances (Moirand et al., 1993, Beacco, 1999, dans le cadre du CEDISCOR[1], discours rapporté (Authier, 1995, Rosier, 1999).

À la différence de l’école française des années 60 et 70, l’AD actuelle est un domaine bien constitué. Un regard rétrospectif sur les fondations et une réflexion épistémologique sur la discipline semblent désormais nécessaires à toute recherche nouvelle dans ce domaine.



[1] Centre de recherches sur les discours ordinaires et spécialisés, université de Paris-III.


آخر تعديل: Monday، 3 February 2025، 11:40 PM