Le signe linguistique
Théorie du signe
La langue est composée d'unités discrètes qui ne sont pas immédiatement perceptibles, mais qui doivent être identifiées par l'analyse, et qui définissent une combinatoire : ces unités, ce sont les signes, qui unissent chacun un signifié (concept) et un signifiant (image acoustique). La théorie du signe opère une rupture par rapport à la conception naïvement nominaliste qui identifie le langage à la pensée, le mot à la chose, et ne voit dans la langue qu'une nomenclature de termes renvoyant à des objets du monde. D'où la notion de « l'arbitraire du signe » : arbitrarité du lien entre le signifiant et le signifié, selon Saussure ; arbitrarité du lien entre le signe entier et la réalité qu'il désigne, pour d'autres auteurs. Enfin, Saussure insiste sur la primauté des relations entre éléments par rapport aux éléments eux-mêmes. Chaque élément n'est rien d'autre que ce que les autres ne sont pas : signifiants et signifiés se définissent par différence avec, respectivement, les autres signifiants et les autres signifiés de la langue ; quant aux signes, ils s'opposent entre eux au sein du système de la langue et ne reçoivent de « valeur » que négativement, c'est-à-dire à travers le réseau de relations d'oppositions dans lequel ils se trouvent pris. Une telle approche de la langue, où seuls comptent les rapports purs indépendamment des grandeurs mises en rapport (« la langue est une forme et non pas une substance »), est à la source de ce que l'on appellera par la suite le structuralisme linguistique.1.1 Langue et réalité/pensée
F. de Saussure précise à propos du signe, un principe qui était sous-entendu : la langue n’est pas le reflet de la réalité (les mots de la langue ne sont pas des étiquettes mises sur les réalités du monde), ni celui de la pensée (la langue ne traduit pas la pensée qui aurait une forme précise antérieure à elle).
L’argument principal de Saussure est ici la traduction : le fait que les mêmes réalités possèdent des noms différents dans les diverses langues est une preuve de la non-coïncidence entre la langue et le monde. Saussure s’oppose ici à une longue tradition représentée par la Logique de Port- Royal d’Arnauld et Nicole pour lesquels il existe une structure générale de l’idée qui organise l’énoncé.
1.2 La nature du signe
- Signifié et signifiant
Cette précision amène Saussure à définir la notion de signe linguistique :
« Le signe linguistique unit non une chose et un nom, mais un concept et une image acoustique. Cette dernière n’est pas le son matériel, chose purement physique, mais l’empreinte psychique de ce son, la représentation que nous en donne le témoignage de nos sens ; elle est sensorielle, et s’il nous arrive de l’appeler “matérielle”, c’est seulement dans ce sens et par opposition à l’autre terme de l’association, le concept, généralement plus abstrait » (1995 : 98).
La précision sur l’aspect non matériel (bien que concret) de l’image acoustique est très importante, et s’articule à la distinction entre phonétique (science du son matériel) et la phonologie (science de l’image acoustique).
Le signe linguistique a trois propriétés essentielles :
- Il présente deux faces indissociables. Pour représenter ce caractère, Saussure utilise la métaphore de la feuille de papier : on ne peut en découper le recto sans en même temps en découper le verso.
- Il est arbitraire. La relation entre le signifiant et le signifié est de type conventionnel. Elle n’est motivée par aucune relation nécessaire de cause à effet. Elle possède cependant un caractère contraignant. À partir du moment où l’on s’est entendu pour appeler un chat un chat, on est contraint d’utiliser ce mot pour se faire comprendre. Il n’est pas possible de le remplacer, de sa propre initiative, par le mot poisson, sous peine de contresens flagrants. Même dans le cas de certaines onomatopées, censées reproduire des bruits de la réalité, la diversité tant historique que géographique des signes utilisés témoigne de cet arbitraire. Le cocorico gaulois se mue en kikiriki chez les Italiens.
- Le signifiant est linéaire. Le signifiant, dans la mesure où il s’inscrit dans le temps, présente un caractère linéaire. Ses éléments se présentent successivement. À la différence d’autres signes sémiotiques, comme un panneau du code de la route, dont les différents symboles constitutifs peuvent être lus indépendamment d’un ordre prescrit.
- Le signe est figé (immutable, stable). Il nous est imposé par le code social qu’est la langue et est donc figé. C’est ce que Saussure appelle l’immutabilité du signe. Le nom français maison existait déjà en français il y a cent ans et existera encore vraisemblablement dans cent ans. C’est grâce à cette stabilité du système linguistique que l’on peut apprendre les langues, les utiliser tout au cours de notre existence et transmettre des informations à travers le temps. Si chaque individu avait la liberté de créer de nouveaux signes linguistiques, ou de faire évoluer les signes de la langue selon son bon vouloir, il n’y aurait plus de fonctionnement social possible pour la langue.
- Le signe est mutable (instable). En outre, les signes d’une langue, comme les lois ou les règlements, sont mutables et donc sujets à deux types de variations :
- des variations individuelles, dans la mesure où tout le monde n’applique pas nécessairement ces lois de la même façon, ou, même, n’a pas nécessairement appris exactement le même système de lois ;
- des variations dans le temps, dans la mesure où les lois, les systèmes de signes linguistiques, évoluent dans le temps.
Le paradoxe de Saussure
Et cela nous amène à une question bien connue en linguistique, connue sous le nom de paradoxe de Saussure. Comment pouvons-nous continuer à parler une langue de façon efficace alors qu’elle change constamment ? Après tout, comment pourrions-nous jouer aux échecs ou au football si les règles étaient constamment modifiées pendant une partie ?
La variation
La clé ici est la variation. Par exemple, avant la conquête normande de l’Angleterre, toutes les personnes qui parlaient anglais disaient here pour « armée ». Quelque temps après la conquête, quelques personnes commencèrent à utiliser le mot français normand army lorsqu’elles parlaient anglais. Pendant longtemps, les deux mots ont coexisté en anglais. Mais de plus en plus de personnes ont commencé à utiliser army plutôt que here et finalement, le jour est venu ou plus personne n’a dit here. Le mot a disparu. Aujourd’hui, cet ancien mot ne survit que dans quelques noms de lieux comme Hereford en Angleterre (« army-ford ») et plus personne, a l’exception d’un spécialiste, ne sait plus ce que signifie ce nom.
Bien entendu, les variations linguistiques se manifestent la plupart du temps sans que les locuteurs le désirent de façon consciente. Un mot de la langue va généralement mourir très progressivement, tout simplement parce que de moins en moins de personnes vont l’utiliser (walkman, lecteur mp3).