La notion de système
La notion de système prend toute son importance à la suite du Cours de linguistique générale (1916) du Suisse Ferdinand de Saussure. Elle constitue le principe de base du courant qui sera appelé plus tard le « structuralisme ». Elle permet en fait de construire la langue comme un objet d’étude de la linguistique.
A/ De la nomenclature au système
La notion de système appliquée à la langue s’oppose à une conception ancienne du langage considéré comme une liste de mots, une nomenclature. Une manière simple d’envisager le langage est de s’imaginer que chaque mot correspond à une étiquette qui renvoie à un objet du monde. Le langage apparaît dès lors comme une liste de signes, sans lien les uns avec les autres, mais reliés aux objets du monde qu’ils désignent. Ainsi, le mot table renvoie-t-il simplement à l’objet table, sans qu’il soit fait référence d’aucune manière aux autres pièces de mobilier, par exemple. Connaître une langue revient à connaître l’ensemble de ces étiquettes. L’organisation de la langue est alors le simple reflet de l’organisation des objets.
Une autre manière de considérer le langage est de l’envisager comme un tout organisé, comme un système. Pour faire comprendre ce qu’est un système, Saussure, et la plupart des linguistes après lui, utilise l’image du jeu et plus particulièrement celle du jeu d’échecs.
B/ Le système comme jeu
Le plateau du jeu d’échecs est le théâtre de la partie, il est également son enclos. Tout ce qui se trouve sur ce plateau a son importance ; tout ce qui se trouve hors du plateau n’est pas pris en compte, n’existe pas. Les règles du jeu qui prévalent sur l’échiquier ne sont pas les mêmes que celles qui prévalent hors du plateau. Les pièces du jeu, si elles ne prennent pas place sur le plateau, ne sont d’aucune importance. De même, le contexte dans lequel le jeu se déroule ainsi que les joueurs qui y prennent part sont négligeables et n’entrent pas en ligne de compte.
Seules comptent les pièces qui occupent une place sur l’échiquier. Ces pièces, quelle que soit leur matière (bois, ébène, ivoire ...), ont certes une signification propre (la tour n’a ni la même signification, ni le même rôle, que le fou, le cheval, la dame ou le pion) ; cependant, ce qui importe, c’est la signification de chaque pièce mise en relation avec la place qu’elle occupe sur l’échiquier par rapport aux autres pièces. Le cheval, par exemple, ne sera pas pris en compte de la même manière s’il se trouve en position de prendre la dame de l’adversaire ou s’il est en passe d’être pris par elle. Pourtant, ni sa matière, ni sa signification de cheval, ne sont différentes. Chaque déplacement de pièce sur l’échiquier aura dès lors des répercussions sur l’ensemble des autres pièces présentes. Après chaque déplacement, donc, le jeu a une configuration différente dans son ensemble.
2.1 Les caractéristiques du système
A/ Le système comme tout autonome
Tout comme le jeu d’échecs, le langage est un système en marge du réel. Il se définit par le fait qu’il est autonome par rapport au monde. En effet, le monde extérieur (le contexte, les joueurs) n’intervient pas dans sa constitution. Selon Saussure, le langage est un système de signes. Ces signes n’ont pas pour fonction de renvoyer à un objet du monde, mais de mettre en relation un signifiant (une image acoustique) et un signifié (un concept). Ce sont ces relations signifiant/signifié internes au système qui doivent être étudiées, et non le rapport du langage au réel.
De ce fait, le structuralisme, qui se développera à partir de la notion de système, évacuera de ses centres d’intérêt la dimension référentielle du langage ainsi que la dimension subjective issue de la prise en compte du locuteur.
B/ La valeur
Les pièces du jeu d’échecs, si elles ont une signification propre, ont surtout une importance par la position qu’elles occupent sur l’échiquier et les relations qu’elles entretiennent avec les autres pièces. Cette constatation introduit une caractéristique fondamentale de la notion de système : le concept de valeur, que Saussure différencie de celui de signification.
Le concept de valeur se décompose en deux facteurs :
· La possibilité d’échanger ce dont on examine la valeur contre un objet de nature différente. Saussure prend l’exemple d’une pièce de 5 francs que l’on peut échanger contre du pain, par exemple. De même, le mot peut être échangé contre une idée, un concept.
· La possibilité de comparer ce dont on examine la valeur avec une valeur similaire du même système : une pièce de 1 franc avec une monnaie étrangère, 1 dollar par exemple. De même, le mot peut être comparé avec un autre mot.
La valeur ne peut être fixée si l’on s’en tient à la première des deux composantes : on n’obtient là que la signification du terme. Le mot français mouton, par exemple, a la même signification que le mot anglais sheep. Cependant, ces deux mots n’ont pas la même valeur. En effet, pour désigner l’animal de boucherie que l’on sert à table, l’anglais dispose d’un mot spécial, mutton, alors que le français n’a que mouton. Ainsi, on peut déduire une différence de valeur entre mouton et sheep de ce que sheep dispose, à côté de lui dans son système, d’un second terme par rapport auquel il se situe.
La notion de valeur montre bien que les éléments n’ont de véritable existence que dans la mesure où ils s’inscrivent dans un système. À l’intérieur de ce système, ces éléments se définissent par mise en relation et par opposition avec les autres éléments. On parle alors de la définition différentielle (oppositionnelle) des éléments du système. De ces considérations, on conclut généralement que les éléments ne préexistent pas au système, et que c’est le système qui prévaut et les constitue comme éléments.