Le Cercle Linguistique de Prague (CLP)
L’école de Prague
L’école linguistique de Prague est souvent rattachée à l’héritage direct de Ferdinand de Saussure. Or, si cette école a développé une des conceptions structuralistes les plus importantes, elle ne le doit que très partiellement au linguiste genevois.
1 LA CONSTITUTION D’UNE ÉCOLE
A Le contexte
§ Le cercle linguistique de Prague fut fondé en 1926, à l’initiative du linguiste tchèque Vilém Mathesius. Prague est à l’époque un important foyer de création intellectuelle, le point de rencontre de l’Occident et de l’Union soviétique.
§ De nombreux linguistes non tchèques ont participé à ses travaux. Parmi eux, on peut citer les français Lucien Tesnière, Émile Benveniste et André Martinet. Mais ce sont surtout trois linguistes russes qui ouvrent la voie aux travaux du cercle : Serge Karcevskij, Roman Jakobson et Nikolaï Sergueïevitch Troubetzkoy.Ils présentèrent au premier congrès international de linguistique de La Haye (1928) une communication divisée en propositions. La proposition 22 fonde la phonologie en tant que phonétique de la langue, au sens saussurien du terme. Les principaux ouvrages qui émanent du cercle concernent la phonologie. Citons les Principes de phonologie de Troubetzkoy (1939), les Principes de phonologie historique de Jakobson (1931) et l’Économie des changements phonétiques. Traité de phonologie diachronique de Martinet (1955).
B Les principes
i. L’école de Prague considère non seulement la langue comme un système, mais encore comme un système fonctionnel. En effet, la langue est un produit de l’activité humaine qui a une visée, un but. C’est un système de moyens d’expression qui vise à la réalisation de l’intention d’exprimer et de communiquer qui anime le locuteur.
ii. Le meilleur moyen de connaître le système qu’est la langue est l’analyse synchronique. Cependant, il n’y a pas, comme chez Saussure, d’opposition tranchée entre une perspective synchronique et une perspective diachronique. Selon les théoriciens de cette école, pour expliquer les changements d’une langue, il faut tenir compte du système dans lequel ils interviennent. Pas de diachronie sans synchronie donc. Par ailleurs, la description synchronique d’un état de langue ne peut pas faire abstraction de l’utilisation, parfois à des fins stylistiques, de certaines formes senties comme archaïques. Donc, pas non plus de synchronie sans diachronie.
iii. Pour découvrir les principes d’organisation structurale des langues (apparentées ou non), la méthode comparative doit être appliquée en synchronie, et non plus seulement en diachronie, pour reconstituer des filiations. La découverte de tels principes permet à l’école de Prague d’émettre l’hypothèse de l’évolution convergente des langues, dont les changements ne s’expliqueraient plus dès lors de manière isolée à l’aide de lois mécaniques et fortuites.
1 L’ÉTUDE DU SYSTÈME
A Les types d’études
§ L’école de Prague se propose de distinguer le son comme fait physique, d’une part, du son comme image acoustique et, d’autre part, du son comme élément fonctionnel du système. Le premier n’a pas un rapport direct avec la linguistique : c’est la physique acoustique qui l’étudie ; le second n’est intéressant que dans la mesure où il exerce une fonction de différenciation de signification. Les relations entre éléments du système sont en effet plus importantes que le contenu sensoriel des éléments eux-mêmes. Il faut donc répertorier les phonèmes et spécifier leurs relations pour décrire le système phonologique ; déterminer les combinaisons de phonèmes réalisées par rapport aux combinaisons possibles ; déterminer le degré d’utilisation des phonèmes et de leurs combinaisons ; décrire l’impact en morphologie des différences phonologiques.
§ Le mot est le résultat d’une activité qui décompose la réalité en éléments linguistiquement saisissables. Cette activité, appelée dénomination, donne lieu à la théorie de la dénomination linguistique, qui trouvera un écho chez Louis Hjelmslev. L’école de Prague se propose d’étudier la forme des mots ou des groupes de mots, la morphologie, ainsi que leurs combinaisons syntaxiques.
B Les fonctions du langage
§ Selon l’école de Prague, les différents usages que l’on fait du langage peuvent avoir des répercussions sur la structure phonique, lexicale ou grammaticale de la langue. C’est à ce titre qu’elle s’y intéresse. Elle distingue, d’abord au niveau du locuteur, ce qui, dans le langage, est d’ordre intellectuel de ce qui est d’ordre émotionnel ; ensuite, au niveau de l’interaction verbale, elle distingue la fonction de communication de la fonction poétique.
§ Dans sa fonction de communication*, le langage est tourné vers le signifié : il oscille entre le langage pratique, qui rend compte des éléments non linguistiques d'une situation, et le langage théorique, qui rend compte de modèles théoriques et utilise une formulation spécifique. Dans sa fonction poétique, le langage est tourné vers le signe lui-même. Le langage poétique, acte d'un créateur individuel, s'inscrit à la fois dans un dialogue avec une tradition poétique constituée et dans un rapport avec la langue communicative. Étudier le langage poétique implique l'étude de ces relations à la fois diachroniques (avec la tradition poétique) et synchroniques (avec le langage communicatif).