Dans le prolongement de l’école de Prague, la linguistique fonctionnelle accorde plus d’importance à la fonction des éléments qu’à leur forme ou leur structure. André Martinet (1908-1999) en est le représentant le plus connu.

1 LE FONCTIONNALISME

A/ Le linguiste

Angliciste de formation, le Français André Martinet participe aux travaux de l’école de Prague. Ses centres d’intérêt le portent vers la phonologie générale et descriptive, vers la phonologie diachronique et vers la linguistique générale.

Il est surtout connu pour ses ouvrages Économie des changements phonétiques (1955), Éléments de linguistique générale (1960), et La Linguistique synchronique (1965). Son principal objectif est de rendre compte des réalités.

Martinet veut pratiquer une linguistique à la fois objective (en refusant de s’appuyer sur le sentiment linguistique, ou l’intuition psychologiste) et échappant au formalisme voire au dogmatisme. Son exigence première est de délivrer une description correcte de la réalité des phénomènes langagiers. Le principe théorique de base de la linguistique de Martinet est sa définition de la langue comme « instrument de communication doublement articulé et de manifestation vocale » (1991 : 20). À partir de là, il élabore des concepts qui constitueront le centre de ses propositions linguistiques.

  • La fonction

Dans un ouvrage de 1989, Fonction et dynamique des langues, Martinet donne une définition synthétique du sens qu’il donne à la perspective fonctionnelle de ses travaux :

« Le terme de “fonctionnel” y est pris au sens le plus courant du terme et implique que le énoncés langagiers sont analysés en référence à la façon dont ils contribuent au processus de communication. Le choix du point de vue fonctionnel dérive de la conviction que toute recherche scientifique se fonde sur l’établissement d’une pertinence et que c’est la pertinence communicative qui permet de mieux comprendre la nature et la dynamique du langage. Tous les traits langagiers seront donc, en priorité, dégagés et classés en référence au rôle qu’ils jouent dans la communication de l’information » (1989 : 53).

Cette définition, qui se situe clairement dans l’héritage de l’école de Prague, repose sur une notion centrale dans la linguistique de Martinet : la pertinence communicative.

  • La pertinence communicative

Pour Martinet, la pertinence communicative constitue un point de vue sur l’objet, une manière de le saisir. Sera considéré comme pertinent sous l’angle communicatif tout objet (structure formelle, unité) qui a pour fonction de délivrer une information :

« Chaque science est caractérisée, moins par le choix des objets que par le choix de certaines caractéristiques de ces objets. Chaque science est fondée sur une pertinence. En linguistique fonctionnelle, nous estimons que la pertinence est la pertinence communicative » (1989 : 37).

Martinet privilégie donc la fonction la plus englobante, celle qui met l’accent sur l’échange entre les protagonistes de la communication, et pas seulement sur un élément seulement du procès de communication. Il distingue deux types de pertinence : la pertinence distinctive, celle des phonèmes, et la pertinence significative, celles des monèmes, notion nouvelle en linguistique, qu’il introduit dans le cadre d’une autre notion, celle de double articulation.

  • La double articulation

Dans la description du fonctionnement de la langue, la grammaire traditionnelle traite indistinctement des phénomènes d’accord, qui sont contraints, et des phénomènes liés aux fonctions, qui laissent de liberté, de choix, aux usagers. La grammaire fonctionnelle, quant à elle, considère que la fonction première du langage est la communication, et, donc, la transmission d’informations. Dès lors, elle ne s’intéresse qu’à ce qui est susceptible d’apporter une information sur les intentions du locuteur. Ce qui est contraint n’apporte pas d’information particulière. La grammaire fonctionnelle se concentre donc sur la description des choix que la langue laisse au locuteur. Martinet situe ces choix à deux niveaux : c’est ce que l’on appelle la théorie de la double articulation.

-     La première articulation concerne des choix qui ont une valeur significative. Le choix s’opère entre différentes unités pourvues de sens. Ces unités significatives élémentaires sont appelées monèmes (équivalents des morphèmes). Ainsi, les monèmes verbaux -ai et -ais s’opposent dans les formes Je montrai et Je montrais. Le premier exprime les valeurs du passé simple ; le second, les valeurs de l’imparfait.

-     La seconde articulation concerne des choix qui ont une valeur distinctive. Le choix s’opère entre des unités non pourvues de sens, dont la fonction est de permettre la distinction des monèmes. Ces unités distinctives élémentaires sont les phonèmes. Les phonèmes /p/ et /b/ n’ont pas de signification propre. Cependant, ils permettent de distinguer des monèmes comme pain et bain.

La grammaire fonctionnelle, qui étudie cette double articulation, est composée essentiellement d’une phonologie et d’une syntaxe. Elle est complétée de deux parties nécessaires mais moins importantes, une phonétique et une morphologie, qui précisent les contraintes de réalisation des éléments issus des choix.

 DEUX CONTRIBUTIONS FONCTIONNALISTES

A/ Le système grammatical

  • Gougenheim a essayé d’appliquer à la grammaire et surtout à la syntaxe les méthodes d’analyses phonologiques et fonctionnelles. Dans son ouvrage Système grammatical de la langue française (1939), il s’attache à dégager et à définir les éléments proprement grammaticaux du français et à montrer quel rôle ils jouent dans le fonctionnement du langage. Pour définir la fonction d’un élément grammatical (personne, temps, mode, préposition ...), Gougenheim l’inscrit dans un système à l’intérieur duquel cet élément se situera par rapport aux autres. Le locuteur, lorsqu’il choisit cet élément, le choisit donc à l’intérieur d’un ensemble où d’autres choix étaient possibles. C’est ce choix qui joue un rôle important dans la communication.Comme le fait la phonologie, Gougenheim va rechercher des paires d’éléments grammaticaux qui s’opposent par certains traits. Soit les phrases Tu supposes qu’il viendra (supposer = «    présumer ») et Suppose qu’il vienne (« sa venue est une pure hypothèse »). Dans ce cas, le choix du mode entraîne une différence de sens. Gougenheim parle alors d’opposition de sens. Ce type d’opposition permet de définir clairement la fonction et le sens des éléments grammaticaux.

B/ La grammaire des fautes

  • Successeur de Charles Bally à Genève, Frei s’intéresse au fonctionnement de la langue, à la manière dont on l’utilise à un moment donné, plus qu’à sa structure interne. Il étudie dès lors tant l’usage dit « correct » que les écarts par rapport à la norme. Il cherche à montrer en quoi les fautes répondent à des exigences du langage, en quoi elles sont conditionnées par son fonctionnement. Il part du principe que le locuteur qui commet un écart attend quelque chose de la langue qu’il n’y trouve pas. La faute est alors le signe d’un besoin qui, d’une part, commande l’exercice de la parole et, d’autre part, annonce l’évolution de la langue, qui n’est pas gratuite. Frei distingue cinq besoins, parfois contradictoires, qui sont la base de l’organisation de sa Grammaire des fautes (1929). Parmi ceux-ci, citons :

- le besoin d’assimilation : ainsi fonctionne l’analogie, lorsque le croisement de se rappeler quelque chose et de se souvenir de quelque chose donne se rappeler de quelque chose ;

- le besoin de brièveté : l’utilisation d’ellipses ou encore d’abréviations de mots (bac ou bachot pour baccalauréat).

Le fonctionnalisme étudie la fonction de la langue (la communication) ainsi que les fonctions des éléments linguistiques plutôt que leur appartenance au système de la langue. Cela permet de distinguer la langue des autres systèmes de symboles qui n’ont pas les mêmes fonctions. Cependant, cette vision n’est pas incompatible avec la perspective structurale développée par d’autres écoles. Martinet les juge complémentaires. Seuls les centres premiers d’intérêt (fonction ou forme) diffèrent.


Last modified: Saturday, 21 October 2023, 6:03 PM