Bloomfield et le descriptivisme
La linguistique se développe seulement à la fin du X1Xe siècle aux États-Unis. Elle ne prend pas appui sur la longue tradition européenne : il n’y a ni grammaire historique, ni grammaire comparée, ni grammaire philosophique. Cette caractéristique permet le développement de méthodes originales, qui aboutissent également à une conception structuraliste du langage.
1 LE LINGUISTE
A/ Le contexte
* Une des caractéristiques majeures de la linguistique américaine est son côté pratique. Les premiers linguistes s’assignent une tâche bien précise. Pour évangéliser et administrer les derniers Indiens, il faut entrer en contact avec eux.
Or ces populations ne possèdent pas de langage écrit. Il est donc nécessaire de mettre au point des procédures nouvelles, différentes de celles élaborées pour les langues possédant une littérature.
* Si le mot semble facile à reconnaître dans une phrase écrite, il n’en va pas de même dans la chaîne parlée. Il faut donc mettre au point une méthode de description des langues orales. Le précurseur en la matière est Franz Boas (1858- 1942), maître de Leonard Bloomfield (1887-1949).
B/ Une démarche originale
* Bloomfield écrit son livre majeur, Language, en 1933. Il est le tenant d’une linguistique mécaniste, alors que Saussure est partisan et défenseur d’une linguistique mentaliste. La linguistique mécaniste refuse de faire intervenir le sens. L’idée de Bloomfield était d’appliquer à l’anglais, de manière mécanique, les techniques mises au point pour les langues amérindiennes.
* Si Saussure est influencé par la psychologie, Bloomfield, lui, fonde sa théorie sur la théorie du comportement appelée behaviorisme, de l’anglais behavior (« comportement »). Au début de Language, il y a l’histoire célèbre de Jack et Jill. Tous deux se promènent. Jill voit des pommes ; elle éprouve une sensation de faim ; elle fait des bruits avec sa bouche et son pharynx. On distingue un stimulus S - arbre et pommes - d’un stimulus S - bruits buccaux – qui provoque une réponse R - Jack va lui cueillir les pommes - et/ ou une réponse R’ - cela peut provoquer chez Jack une réponse de bruits buccaux.
* Bloomfield considère que la langue fonctionne selon les mêmes principes de stimulus et de réponse que le comportement. Aussi la tâche du linguiste serait-elle la description des rapports entre stimulus linguistique et réponse linguistique. Le sens, tel que le conçoit Bloomfield, n’a rien à voir avec une analyse de signifié ou de concept, comme cela pourrait être le cas chez Saussure. Le sens coïncide avec la réaction linguistique, ne se mesure qu’en fonction de la réponse R.
1 LE DISTRIBUTIONNALISME
Bloomfield est à l’origine d’une école appelée distributionnalisme par ses disciples. Le distributionnalisme tire son nom de la distribution des unités que l’on étudie. La distribution d’une unité correspond à l’ensemble des environnements dans lesquels on rencontre l’unité considérée. La méthode distributionnaliste commence donc par recueillir des données. L’ensemble de ces données constitue le corpus. C’est à partir de l’analyse des données de ce corpus selon des techniques particulières que l’on aboutit à un listage de classes distributionnelles. La grammaire est donc construite de manière empirique et inductive : à partir des faits, des données du corpus traitées selon des procédures, on dresse des listes distributionnelles et on propose des généralisations.
A/ L’analyse en constituants immédiats
* Pour décomposer les énoncés du corpus, le sens ne pouvant intervenir, on procède comme suit : soit la phrase Mon voisin lave sa voiture. Cette phrase s’apparente à une construction hiérarchisée. Elle est décomposable en segments, qui constituent l’énoncé, segments eux-mêmes décomposables en sous-segments. Ces segments sont appelés constituants immédiats et sont isolés dans un premier temps par la possibilité de marquer une pause ou d’insérer d’autres éléments entre eux.
* Le constituant immédiat apparaît donc comme un constituant de rang immédiatement inférieur. En partant de la phrase, on décomposera donc en proposition, puis en syntagme, pour s’arrêter au mot (voire au morphème).
B/ Les procédures distributionnalistes
Le distributionnalisme élabore des techniques d’analyse et de description, qui permettent d’aboutir à un listage de classes distributionnelles. Retenons les deux principales : la commutation et la combinaison.
* La commutation : soit la phrase J’ai un chat très intelligent et je l’aime beaucoup.
bien bien
assez assez
La commutation est une technique selon laquelle on fait commuter, sur un axe paradigmatique, des sons ou suites de sons. Par cette méthode, on obtient une nouvelle définition des parties du discours : tous les mots qui commutent entre eux sur un même axe, qui peuvent apparaître dans la même position, appartiennent à la même classe.
* La combinaison est une technique selon laquelle on combine des sons ou des suites de sons sur un axe syntagmatique. Cette technique permet de voir si des éléments sont compatibles. Ainsi, si un déterminant est combinable avec un adjectif (un joli chapeau), deux déterminants sont mutuellement exclusifs (le un chapeau ; cependant, il arrive que l’on trouve les quelques chapeaux).
Le distributionnalisme a ses limites. Une fois mises en œuvre les différentes techniques de description et d’analyse, la linguistique risque de se retrouver sans objet : quand on a tout décrit, quand on a énuméré la liste des classes distributionnelles, il n’y a plus rien à faire, puisque le sens n’intervient pas.