Chomsky et la grammaire générativePage
Élève du distributionnaliste Zellig S. Harris, Noam Chomsky (né en 1928) va construire sa théorie en opposition avec les principes de cette école. Il refuse une grammaire de listes, élaborée sur base d’un corpus fini - et donc incomplet – de phrases d’une langue. Pour expliquer comment on crée des énoncés, il prône une théorie qui puisse décrire et expliquer les faits connus, et prédire des faits non encore observés.
1. LA THÉORIE STANDARD
A. Les principes
Les ouvrages de base de Chomsky sont Structures syntaxiques (1957) et Aspects de la théorie syntaxique (1965). Il y définit la grammaire comme l’ensemble fini de règles qui permettent de produire la totalité des énoncés grammaticaux possibles d’une langue donnée. Il fonde cette définition sur l’observation du langage enfantin. L’enfant ne répète pas, comme un perroquet, les phrases qu’il a entendues. Il crée des énoncés, qu’il n’a jamais entendus, à partir des règles finies qu’il possède (Maman fait la cuisine/Papa répare la voiture -----> Papa fait la cuisine /Maman répare la voiture).
Chomsky distingue alors la connaissance des règles (la compétence) et l’emploi, la mise en pratique des règles (la performance). Le travail du linguiste est de décrire la compétence. La grammaire qui regroupe l’ensemble des règles et instructions explicites qui permettent d’engendrer, c’est-à-dire d’énumérer, toutes les phrases grammaticales possibles d’une langue est dite générative. Pour représenter les phrases, Chomsky adopte la forme de l’arbre.
B. Les règles
La grammaire remplit son programme grâce à la création de règles de réécriture à partir des arbres. On les formalise, par exemple, comme suit : P ----> SN + SV (la phrase P se réécrit en un syntagme nominal et un syntagme verbal). Il s’agit bien d’une grammaire à capacité générative.
Les règles de réécriture héritées de la grammaire distributionnelle ont cependant un défaut : elles donnent des descriptions semblables pour des phrases de sens différents (Pierre envoie des fleurs à Marie/ Pierre envoie des fleurs à Rome) et des descriptions différentes pour des phrases de sens semblables (Pierre aime Marie/ Marie est aimée de Pierre). Pour remédier à cela, Chomsky emploie des règles de transformation, symbolisées par une double flèche (Pierre aime Marie =>Marie est aimée de Pierre). On parle donc de grammaire générative et transformationnelle.
2. LES CONCEPTIONS DE LA GRAMMAIRE
A. Les niveaux d’analyse
En distinguant la réécriture et la transformation, Chomsky distingue aussi deux niveaux : celui des structures profondes et celui des structures de surface, issues d’une transformation. Les structures profondes résident dans l’esprit. Tout comme la compétence, les structures profondes apparaissent comme innées et non comme acquises : elles relèvent de la faculté de langage qui fait partie de l’héritage biologique commun à tout être humain. Les règles et instructions de la compétence sont considérées comme des universaux du langage, comme des propriétés communes à toutes les langues, et non propres à chacune d’entre elles, comme des traits de grammaire générale. Par ce biais, Chomsky ajoute une dimension mentaliste à la perspective mécaniste des distributionnalistes.
Chomsky considère que la grammaire comporte trois parties :
- la partie sémantique, qui comprend toutes les données nécessaires à la compréhension, est indépendante de la langue que l’on parle et donc statique ;
- la partie syntaxique, qui comprend les règles de réécriture qui traduisent la donnée sémantique, ainsi que les règles de transformation, est dynamique ;
- la partie phonologique, qui habille par des règles phonétiques la structure de surface issue des deux premières parties, varie d’une langue à l’autre.
B. Les versions ultérieures
La deuxième version de la grammaire générative (à partir de 1975), appelée théorie standard étendue, développe une hypothèse générale sur la structure des constituants, censée valoir pour toutes les langues dans le cadre d’une grammaire universelle (théorie X-barre), et redéfinit les rapports entre syntaxe et sémantique.
Un nouveau changement théorique survient en 1981. Selon Chomsky, ce sont des principes universels qui organisent la grammaire, principes innés, communs à toutes les langues. La théorie grammaticale se charge de définir les paramètres qui caractérisent la manière dont les langues particulières mettent en œuvre ces principes. Il appelle cette théorie : la théorie des principes et des paramètres.
La théorie de Chomsky se voulait la synthèse de divers courants américains et européens, ce qui lui valut un succès énorme, tant aux États-Unis qu’en Europe. Cependant, il est difficile aujourd’hui de parler d’école homogène : chacun semble pouvoir y emprunter des concepts, sans devoir adhérer au cadre théorique d’ensemble. L’apport de Chomsky est également considérable dans les domaines de l’acquisition et de la philosophie du langage.