LE SIGNE LINGUISTIQUE

La sémantique lexicale a pour objet l’étude du sens des unités lexicales. Elle se sert des concepts liés au signe, hérités souvent de la philosophie.

 1. LE SIGNE LINGUISTIQUE ET LE RÉFÉRENT

A. LE SIGNE

Ferdinand de Saussure (1857-1913) définit le signe linguistique comme une entité à double face, l’une sensible qui est son signifiant (l’image acoustique), l’autre, abstraite, qui est son signifié (le concept).

Signifiant et signifié s’impliquent réciproquement. Au signifiant oral [flœR] ou au signifiant graphique (fleur) est associé le signifié «production de certains végétaux, colorée, souvent parfumée ».

 « Le signe linguistique unit non une chose et un nom, mais un concept et une image acoustique.

Cette dernière n’est pas le son matériel, chose purement physique, mais l’empreinte psychique de ce son, la représentation que nous en donne le témoignage de nos sens [...] ».

F. de Saussure, Cours de linguistique générale, première partie, chap. 1, p. 98

 Le lien unissant le signifiant au signifié est arbitraire.

 « Ainsi l’idée de "sœur" n’est liée par aucun rapport intérieur avec la suite de sons [sœr] qui lui sert de signifiant ; il pourrait aussi bien être représenté par n’importe quelle autre ... »

Ibid., p. 100

  B. LE RÉFÉRENT

Les signes linguistiques permettent au locuteur de parler de la réalité qui l’entoure. Ils ont, en effet, la propriété de pouvoir renvoyer aux objets du monde, extérieurs à la langue ; ces objets sont les référents. Signes linguistiques et référents ne doivent pas être confondus. Ainsi c’est bien la fleur (la plante concrète) qui embaume et non pas le mot fleur ni le signifié de fleur. La confusion entre le signe et le référent désigné par le signe s’observe dans l’apprentissage du langage. Dans sa thèse, I. Berthoud-Papandropoulou rapporte différents tests qu’elle présente à des enfants âgés de 4 à 6 ans[1]. L’un des tests consiste à leur soumettre des mots de longueur différente en demandant de juger de leur dimension. À la question : « Pourquoi armoire est un mot long?», l’enfant répond : «parce qu’il y a beaucoup d’affaires dedans». Les enfants répondent à la question métalinguistique - c’est-à-dire portant sur la langue - par des réponses liées aux caractéristiques du référent. Ces réponses traduisent le refus de l’arbitraire du signe et le besoin de motivation.

Les référents sont des entités matérielles ou conceptuelles (êtres, objets, lieux, processus, propriétés, événements, etc.). Ils relèvent de l’univers extralinguistique réel ou fictif (par exemple, la sirène). Les référents ne sont pas tous des données immédiates du réel. Ils sont médiatisés par la langue. Les rapports entre l’ordre de la langue et l’ordre du monde sont complexes ; ils ont nourri les débats philosophiques dès l’Antiquité.

On distingue l’emploi référentiel du signe de son emploi autonymique. Lorsque le signe ne renvoie pas à un référent (externe) mais à lui-même, il est dit autonyme (il se désigne lui-même comme signe). Dans l’exemple : Chat rime avec rat, chat est autonyme (on dit que le locuteur fait mention du signe). En revanche, dans l’exemple : Le chat miaule sur le balcon, le chat renvoie au référent (on dit que le locuteur fait usage du signe).

 Ce n’est que par le passage de la langue au discours, par le biais d’un acte d’énonciation, que le signe réfère, c’est-à-dire qu’il permet au locuteur de désigner un objet. Dans l’énoncé : Mon chat miaule sur le balcon, mon chat vise un référent particulier appartenant à l’univers du locuteur.

 C. LE SENS RÉFÉRENTIEL

Le sens référentiel d’une unité lexicale (aussi appelé sens désignatif ou sens dénotatif) est le signifié stable du signe qui correspond à la relation de désignation entre le signe et le référent. Dans cette conception, le sens d’un mot détermine sa référence ; il est constitué des propriétés qui permettent d’identifier et d’isoler une catégorie d’objets extralinguistiques par rapport à d’autres objets, même si le signifié ne prend pas en compte toutes les caractéristiques du référent. On peut donc dire que le sens référentiel rassemble les critères ou les informations que la langue a retenus pour référer à un objet extralinguistique. Ainsi, pour que le nom chat puisse être attribué à un individu particulier, il faut que ce dernier satisfasse à un ensemble de conditions comme « animal », «quadrupède», «petit», « domestique», «miaule», etc.

À la suite de J.-C. Milner[2], on distingue parfois référence actuelle (référence en discours) et référence virtuelle (hors discours). Le sens référentiel équivaut alors à la notion de référence virtuelle[3].

D. LE SENS DIFFÉRENTIEL

Pour Saussure, le sens d’une unité lexicale est différentiel. La langue étant un système de signes dont tous les termes sont solidaires, le signifié du signe linguistique est déterminé par sa position à l’intérieur du système linguistique, c’est-à-dire par les rapports qu’il entretient avec les autres signifiés voisins qui lui sont opposables.

« Dans l’intérieur d’une même langue, tous les mots qui expriment des idées voisines se limitent réciproquement : des synonymes comme redouter, craindre, avoir peur n’ont de valeur propre que par leur opposition ; si redouter n’existait pas, tout son contenu irait à ses concurrents. »

F. de Saussure, op. cit, deuxième partie, chap. 4, p. 160

Il. EXTENSION VS INTENSION

L’extension et l’intension (ou compréhension) sont des concepts issus de la logique, d’un emploi courant en lexicologie. Le terme compréhension est plus ancien mais il prête à confusion ; l’anglicisme intension[4] est plus clair en ce qu’il s’oppose morphologiquement à extension.

Lorsque l’on définit une classe d’objets, on peut opter entre deux solutions :

- énumérer les éléments dont se compose la classe (définition en extension) ;

- définir la classe à l’aide des propriétés communes aux objets de la classe (définition en intension).

Sur le plan linguistique, l’extension d’un signe est l’ensemble des référents auxquels il s’applique ; l’intension d’un signe est l’ensemble des traits qui constituent son signifié (autrement dit son sens dénotatif). L’extension de fleur est l’ensemble des fleurs (tulipes, roses, marguerites, etc.) ; l’intension de fleur est le sens de fleur composé des traits sémantiques /production/, /venant de végétaux/, /colorée/, /souvent parfumée/. Extension et intension sont en relation complémentaire. L’intension d’un signe détermine son extension.

Certains mots, comme les termes de couleur, ne sont guère susceptibles d’une analyse en traits sémantiques : on peut décomposer rouge en /coloré/ mais comment poursuivre ? Ils requièrent donc une définition en extension, qui consiste à énumérer les objets de la couleur à définir (rouge : couleur du sang, du coquelicot, du feu, du rubis, etc.).

 Ill. DÉNOTATION VS CONNOTATION(S)

En logique, la dénotation est l’extension d’un signe, et la connotation son intension. On écartera ici l’acception logique du terme connotation.

En linguistique, le sens ou signifié dénotatif s’oppose au sens ou signifié connotatif.

La connotation d’un signe est constituée des valeurs sémantiques secondes qui viennent se greffer sur le sens dénotatif. Dans le domaine du lexique, la connotation recouvre différents faits : registres de langue (ainsi policier et flic n’ont pas la même connotation), contenus affectifs propres à un individu ou à un groupe d’individus (par exemple, le mot paysan a, selon les cas, une valeur positive ou négative), représentations culturelles et idéologiques liées aux contextes d’utilisation de l’unité lexicale ou en rapport avec les référents (par exemple, le mot peuple).

Clochard et SDF (sans domicile fixe) se différencient par leurs connotations : clochard peut avoir, dans certains contextes, une connotation affective que n’a pas l’euphémisme SDF. Le mot sans-papiers s’est diffusé à partir des années 1980 parce qu’il n’avait pas la charge négative de clandestin.

 Les valeurs connotatives sont hétérogènes et variables selon les locuteurs. Bien que commode et d’un usage généralisé, la notion de connotation reste floue ; de là le choix du pluriel qui traduit la diversité des faits. De plus, les critères de démarcation entre traits dénotatifs et traits connotatifs ne sont pas aisés. Selon C. Kerbrat-Orecchioni[5], ce qui fonde le statut spécial des valeurs sémantiques de la connotation tient à leur nature et/ou à leur modalité d’affirmation :

- leur nature est spécifique parce que « les informations qu’elles fournissent portent sur autre chose que le référent du discours» et qu’elles renseignent sur le locuteur, la situation de communication, le genre de discours, etc. ;

- leur modalité d’affirmation est spécifique : «véhiculées par un matériel signifiant beaucoup plus diversifié que celui dont relève la dénotation», puisque la connotation exploite la totalité du matériel linguistique, signifiant compris, «ces valeurs sont suggérées plus que véritablement assertées, et secondaires par rapport aux contenus dénotatifs auxquels elles sont subordonnées ». On ne saurait donc s’étonner de la difficulté que pose l’intégration des connotations dans une théorie sémantique. ·

Un nom propre peut connoter. R. Barthes, dans son analyse de la publicité pour les pâtes Panzani, remarque que le signe Panzani n’est pas seulement le nom de la marque, mais « qu’il livre aussi, par son assonance, un signifié supplémentaire qui est, si l’on veut, "l’italianité[6]" ».

[1]Ioanna Berthoud-Papandropoulou, La Réflexion métalinguistique chez l'enfant~ Université de Genève, 1980.

[2] Jean-Claude Milner, Introduction à une science du langage, Paris, Seuil, 1989, p. 336.

[3] Sur les rapports entre sens et référence, cf. G. Kleiber, Problèmes de sémantique. La polysémie en questions, p. 30-52.

[4] The internal content of a concept.

[5] C. Kerbrat-Orecchioni, La Connotation, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1977, p. 18.

[6] R. Barthes, « Rhétorique de l'image », Communications 4, Seuil, 1964, p. 41.


Modifié le: lundi 1 juillet 2024, 05:28