1. Le modèle des conditions nécessaires et suffisantes (Le modèle aristotélicien)

Appelée aussi : définition logique, définition hyperonymique ou définition par inclusion,

Une première façon d’expliquer la catégorisation, qui remonte à Aristote (384-322 av. J.- C.), représente une analyse du sens dénotatif des unités lexicales. Elle consiste à lister les conditions nécessaires et suffisantes pour qu’un élément entre dans une catégorie.

Aristote décrit, en ces termes, le processus sur lequel se fonde la définition par inclusion :

« Il faut en définissant poser l’objet dans son genre et alors seulement y rattacher les différences. » (Topiques, VI,1)

La définition, bâtie sur ce modèle, consiste donc à désigner d’abord le genre (la classe générale), dont relève le référent du nom à définir, puis à spécifier les différences qui le séparent des autres espèces appartenant au même genre. En voici un exemple :

fonte : alliage de fer et de carbone

Cette définition du Petit Robert (PR) se compose de l’incluant (alliage), qui nomme la catégorie générale à laquelle appartient le référent, et de traits différenciateurs (fer et carbone), qui le distinguent des autres alliages (laiton, bronze, etc.), c’est-à-dire des autres référents nommés de la catégorie. Alliage est l’incluant ou l’hyperonyme de fonte. La définition est ordonnée (incluant placé, en règle générale, en premier), hiérarchisée et distinctive. Elle doit, en effet, permettre d’isoler la classe de référents à laquelle renvoie le signe sans que cette classe ne soit confondue avec une autre classe. La définition par inclusion est une définition en intension du signe. À titre d’illustration, voici quelques exemples de définitions de ce type (PR 2013) :

grog : boisson faite d’eau chaude sucrée et d’eau-de-vie, de rhum

fauteuil : siège à dossier et à bras, à une seule place

œil : organe de la vue

Concernant la catégorie des carrés, les conditions nécessaires pour qu’une forme fasse partie de cette catégorie pourraient être les suivantes :

Propriété du carré

1.  être une forme fermée et plate ;

2.  comprendre quatre côtés ;

3.  avoir des côtés de longueur égale ;

4.  avoir uniquement des angles égaux.

Propriété du losange

1)  comprend quatre côtés de même mesure ;

2)  ses côtés opposés sont parallèles ;

3)  ses diagonales se coupent en leurs milieu et sont perpendiculaires ;

4)  ses angles opposés sont de même mesure et ses angles consécutifs sont supplémentaires.

Ces conditions sont appelées nécessaires, parce que la non satisfaction de l’une d’elle suffit à exclure un référent d’une catégorie. Par exemple, une forme qui remplirait les conditions 1 à 3 mais pas 4 ne serait pas un carré mais un losange. La somme de ces conditions est également suffisante, dans la mesure où aucune condition supplémentaire n’est requise pour entrer dans cette catégorie.

De par sa nature même, le modèle des conditions nécessaires et suffisantes (CNS) présuppose certains faits à propos des catégories. Tout d’abord, les catégories ont des frontières clairement identifiables et chaque référent peut être clairement catégorisé. Ensuite, tous les membres d’une catégorie ont un statut égal. Par exemple, le siamois n’est pas un meilleur exemple de chat que le persan. Enfin, les concepts contiennent à la fois des informations qui sont essentielles à leur définition (les CNS) et des informations contingentes. Du point de vue du sens, les CNS correspondent à la signification lexicale du mot (sémantique) et les autres informations sont de type encyclopédique et relèvent de la pragmatique. Par exemple, être un mammifère est une condition nécessaire pour faire partie de la catégorie des chats mais le fait que les chats aiment être caressés fait partie des informations contingentes que beaucoup de locuteurs possèdent sur cette catégorie, mais qui n’est pas vraie de tous les chats et n’est donc pas une condition nécessaire.

Le genre prochain

On constate que la lecture de la définition peut s’arrêter après l’incluant : « le grog est une boisson », « le fauteuil est un siège ». Aristote recommandait de définir par le recours au genre prochain. Il distinguait, dans une classification absolue, trois genres : le genre prochain (qui n’a en dessous de lui que des espèces), le genre éloigné (qui englobe d’autres genres) et le genre suprême (qui n’est englobé dans aucun autre). Fauteuil entre ainsi dans une série d’inclusions : siège (genre prochain), meuble (genre éloigné) et chose (genre suprême). La notion d’incluant est relative ; aucun incluant ne représente en soi le genre prochain : siège est le genre prochain de fauteuil et meuble est le genre prochain de siège. Le recours au genre prochain assure à la définition économie et efficacité ; les différences spécifiques seront moins nombreuses que dans le cas du genre éloigné.

Ø chose (genre suprême) > meuble (genre éloigné) > siège (genre prochain) > fauteuil (espèce)

Visée référentielle

 La définition par inclusion parle des choses, des référents (c’est, selon la terminologie utilisée par J. Rey-Debove, une définition de la « chose nommée »). La démarche consiste à inclure une classe de référents exprimés par le substantif (fonte) dans une autre classe (alliage). La visée référentielle apparaît lorsque l’on vérifie la relation d’identité, à l’aide de la double question (Y étant l’incluant) :

Est-ce que tous les X (appelés X) sont des Y qui… ?

Est-ce que tous les Y qui… sont des X ?

Est-ce que toutes les fontes (ou tous les objets appelés fonte) sont des alliages qui sont constitués de fer et de carbone ? Oui.

Est-ce que tous les alliages qui sont constitués de fer et de carbone sont de la fonte ? Oui.

Si la réponse est affirmative dans les deux cas, la définition est juste.

 La définition par inclusion, en mentionnant les traits qui réfèrent aux propriétés des objets désignés par le mot, offre simultanément une analyse du sens lexical. « C’est en parlant des choses que le contenu des signes apparaît mais implicitement. »

Dans les dictionnaires actuels, il n’y a pas de verbe entre l’entrée (sujette de l’article du dictionnaire) et les informations tenues sur l’entrée (cf. chap. 12, 3.1). Dans le cas d’une entrée nominale, on peut soit rétablir la copule être (la) fonte (est un) alliage de fer et de carbone, soit rétablir la copule signifier fonte (signifie) alliage de fer et de carbone. Si l’on rétablit la copule être, l’entrée renvoie à la chose nommée et la définition se prête à une lecture référentielle. Si l’on rétablit la copule signifier, l’entrée est autonyme et la définition indique les traits du signifié. De là, l’ambiguïté de la définition lexicographique des noms.

De la catégorie nominale à d’autres catégories

Logiciens et linguistes s’appuient, en règle générale, sur des exemples de définitions de noms car le substantif convient particulièrement au modèle aristotélicien de la définition. Cependant, au prix de quelques ajustements, le modèle est également utilisé dans les dictionnaires pour les verbes et à un moindre degré pour les adjectifs, comme le montrent ces extraits du PR :

agiter : remuer vivement en divers sens, en déterminant des mouvements irréguliers ;

pourpre : rouge foncé.

On retrouve la même structure : les incluants (remuer et rouge) de même catégorie syntaxique que les mots définis et les différences spécifiques. Mais le système des inclusions des verbes et des adjectifs est moins riche que dans le cas du nom.

Définitions hypospécifiques, suffisantes, hyperspécifiques

Exprimer le défini et rien que le défini, tel est l’objectif de la définition. Mais la justesse de l’adéquation défini/définition (testée par la double question, évoquée ci-dessus) n’est pas toujours obtenue. Trois cas doivent être distingués.

  • La définition est hypospécifique lorsque le nombre de traits spécifiques est insuffisant ; seule la première question reçoit une réponse positive. Voici la définition de saharienne tirée de l’édition 1985 du Petit Larousse illustré (PLI) : saharienne : veste de toile. À la question : Est-ce que toutes les sahariennes sont des vestes de toile ? la réponse est oui ; à la question : Est-ce que toutes les vestes de toile sont des sahariennes ? la réponse est non (il existe des vestes de toile qui ne sont pas des sahariennes). La définition ne permet pas de différencier l’entité dénotée des entités partageant le même genre prochain. (Précisons que dans les éditions ultérieures, la définition du PLI a été remaniée).
  • La définition est suffisante ; elle répond positivement à la double question et indique les conditions nécessaires et suffisantes permettant d’isoler de façon distinctive la classe des référents à laquelle renvoie le signe. Il en est ainsi de la définition de chamois que présente le Dictionnaire du français contemporain (DFC, 1975) : chamois : ruminant à cornes recourbées vivant dans les hautes montagnes d’Europe.
  • La définition est hyperspécifique ; elle énumère un nombre élevé de traits, allant au-delà de la description nécessaire, accumulant des éléments non discriminatoires, des qualifications superflues. C’est le cas de la définition de chamois du Grand Larousse de la langue française (GLLF, 1971) chamois : ruminant à cornes lisses et recourbées au sommet, aux jambes longues et fortes, qui se rencontre dans les hautes montagnes de l’Europe où il grimpe et saute avec agilité.

Les définitions hyperspécifiques sont aussi appelées définitions encyclopédiques. Elles sont particulièrement fréquentes dans certains domaines de connaissances sur le monde comme, par exemple, lorsqu’il s’agit de définir des espèces naturelles ou des noms d’objets.

Le choix entre définitions suffisanteshypospécifiqueshyperspécifiques est lié à la stratégie de chaque dictionnaire. Cependant, le partage entre les définitions suffisantes et les définitions encyclopédiques n’est pas toujours commode à établir car il n’existe pas pour un objet donné une seule et unique définition pertinente.

Les limites du modèle

Pour des raisons différentes, l’ensemble des items lexicaux ne peut être soumis à l’analyse selon le genre et l’espèce.

Deux catégories de mots sont rebelles au système de l’inclusion : les mots dits primitifs et les mots grammaticaux :

  • Les primitifs sont les mots non analysables, incluants tels êtrechosepersonneobjet auxquels on aboutit lorsque l’on a remonté à la source la chaîne des inclusions. Ces primitifs lexicaux, qu’il faut distinguer des primitifs sémantiques[1], ne peuvent être définis pour des raisons d’ordre philosophique et lexical (l’analyse exigerait des unités sémantiquement encore plus pauvres qui n’existent pas). Les définitions par inclusion poursuivies à l’échelle de l’ensemble lexical conduisent à une impasse.
  • Les mots grammaticaux (carque, etc.) ont, comme les primitifs lexicaux, une fréquence très élevée. Ils ont un contenu sémantique relativement pauvre, quasiment réduit à leur fonction. C’est la raison pour laquelle ils ne peuvent être véritablement l’objet d’une définition par inclusion et qu’ils relèvent d’une autre procédure d’analyse, la définition métalinguistique : que : pronom relatif désignant une personne ou une chose. (Pronom est un incluant métalinguistique.) Par ailleurs, certains mots entrent difficilement dans le système de l’inclusion, en particulier les mots exprimant un rapport de partie à tout ou les termes collectifs.
  •  Au demeurant, il est bien souvent difficile voire impossible de lister les conditions nécessaires d’appartenance à une catégorie. Il suffit en effet qu’un seul référent ne remplisse pas une condition pour que celle-ci ne puisse plus figurer parmi les CNS. Par exemple, la propriété de voler ne peut pas faire partie des CNS de la catégorie des oiseaux, car certains oiseaux comme les pingouins ou les autruches ne volent pas. Pourtant, il s’agit de la propriété la plus illustrative de cette catégorie pour de nombreux locuteurs. Ce modèle semble ainsi trop rigide pour pouvoir intégrer de telles propriétés.
  •  de nombreuses expériences ont démontré que les limites entre les catégories sont souvent floues. Par exemple Labov (1973) a montré une série de récipients à des sujets en leur demandant où commençait la catégorie des tasses et où s’arrêtait celle des bols. Ses résultats indiquent que non seulement les sujets ne sont pas unanimes sur le placement de la frontière entre ces deux catégories, mais que leurs intuitions varient selon le contexte. Par exemple, si un récipient contenait du café les sujets avaient tendance à le classer dans la catégorie des tasses, mais si ce même récipient contenait de la soupe il devenait un bol. Toutes ces observations contredisent les principes du modèle des CNS dans lequel les frontières entre catégories devraient être clairement identifiées.

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