1. La méthodologie traditionnelle
La méthodologie traditionnelle, appelée parfois méthode bilingue, semble avoir été dominante pour les langues vivantes, selon H. Besse, depuis la fin du 16ème siècle et au 17ème siècle. Fortement critiquée et par la suite déclinée au 18ème siècle, elle connut son plein épanouissement au 19ème et même pendant une partie du 20ème siècle.
La méthodologie traditionnelle est « héritée de l’enseignement des langues anciennes (latin et grec), basée sur la méthode dite de grammaire-traduction et en usage général dans l’enseignement secondaire français dans la seconde moitié du 19e siècle. »[1] Son utilisation massive à cette époque a donné lieu à de nombreuses recherches ouvrant la voix vers des réflexions qui ont abouti à l’apparition de nouvelles orientations théoriques et de nouvelles méthodologies.
Cette méthodologie préconise un enseignement explicite de la grammaire qui exige un métalangage conséquent. Se basant essentiellement sur la lecture et la traduction de textes littéraires en langue étrangère, elle n’est pas utilisée pour apprendre à communiquer, mais à transmettre des règles théoriques. « L’apprentissage de L2 est vu comme une activité intellectuelle consistant à apprendre et à mémoriser des règles et des exemples en vue d’une éventuelle maîtrise de la morphologie et de la syntaxe de L2.»[2]
« Etant donné le faible niveau d’intégration didactique que présentait cette méthodologie, le professeur n’avait pas besoin de manuel, il pouvait en effet choisir lui-même les textes en fonction de leur valeur littéraire (subjective, bien évidemment) sans tenir vraiment compte de leurs difficultés grammaticales et lexicales. »[3]
L’enseignement de la grammaire dépendait des faits de langue que le professeur choisit à partir du contenu des textes proposés et abordés en classe dans l’ordre de leur apparition dans ces textes. Cet enseignement n’obéit donc pas à un processus graduel et ne progresse pas par ordre de difficultés. Les exercices qui étaient proposés visaient la mémorisation du lexique (listes de mots) et des faits de langue relevés dans des textes littéraires ainsi que la traduction d’extraits de textes littéraires d’auteurs célèbres dans leur langue maternelle. Cette démarche est calquée sur la méthodologie jusqu’alors en usage pour l'enseignement des langues anciennes (le grec et le latin) et suivait selon C. Puren le schéma suivant :
Tableau 01: L’organisation des études latines au XVIIIème et au XIXème siècle
Classes |
Objectif prioritaire |
Activité principale |
Exercice privilégié
|
Grammaire (6e -5e-4e) |
apprentissage linguistique |
application des règles grammaticales |
composition grammaticale (thème) |
(3e - 2e) |
apprentissage culturel |
lecture des auteurs |
version |
Rhétorique |
apprentissage de la poésie et de l’éloquence |
rédaction de vers et de discours latins |
composition littéraire |
Dans son livre « Méthodes et pratiques des manuels de langue ». Henri Besse nous explique les étapes de l’enseignement de la grammaire ainsi que les supports utilisés. L’écrit (compréhension et production) constitue ici l’objectif suprême de cette méthodologie.
« […] : le maître traduit ce qu'il présente de L2 en L1 ; il donne des explications grammaticales en L1, ultérieurement en L2; il s'appuie, au moins au départ, sur des exemples forgés par lui ou empruntés à des auteurs mais bien illustratifs des règles qu'il énonce; il suit une progression grammaticale fondée, avec quelques aménagements, sur un découpage de la description qu'il enseigne. L’enseignement/apprentissage porte essentiellement sur les formes écrites de L2, ou sur l’oralisation de ces formes, parce que ce sont elles qui sont prise en compte dans les descriptions grammaticales traditionnelles ( la grammaire est étymologiquement la science des lettres, ce qui permet de savoir lire et écrire sa propre langue), parce que cette méthode a été appliquée d’abord à des langues qui n’étaient plus tout à fait vivantes ( le grec et surtout le latin), et parce qu’enfin l’objectif ultime n’est pas tant d’apprendre à parler la L2 comme on la parle que de faciliter l’accès à des textes ( littéraires ou non) rédigés dans cette langue. »[4]
Après avoir connue une certaine hégémonie dans les milieux scolaire, la méthodologie traditionnelle a fait l’objet de nombreuses critiques de la part des pédagogues qui ont relevé des carences dans le processus d’apprentissage. Concernant celui de la grammaire, les compétences grammaticales des apprenants demeurent limitées étant donné que ces derniers ne se livrent que rarement à la pratique de la langue dans des situations réelles de communication. Dans ce sens, H. Besse estime que « la compréhension des règles grammaticales, même formulées en L1, demeure toujours incertaine, et une bonne connaissance de ces règles n’est pas une condition suffisante pour pratiquer correctement la langue sur laquelle elles portent ; la traduction mot-à-mot et les équivalences lexicales entre langues sont des approximations contestables et parfois inductrices d’erreurs, parce qu’il n’y a jamais une équivalence parfaite entre deux mots relevant de langues différentes […]».[5]
Devant les nombreuses carences observées, Duruy Victor, alors ministre de l’instruction publique, a envoyé une instruction (Instruction du 29 septembre 1863) à l’intention des enseignants des langues vivantes étrangères afin de les inciter à adopter des méthodes d’enseignement dont les principes sont calqués sur les conduites d’apprentissage naturel de la langue :
« La méthode à suivre est ce que j'appellerai la méthode naturelle, celle qu'on emploie pour l'enfant dans la famille, celle dont chacun use en pays étranger : peu de grammaire, l'anglais même n'en a pour ainsi dire pas [sic/], mais beaucoup d'exercices parlés, parce que la prononciation est la plus grande difficulté des langues vivantes; beaucoup aussi d'exercices écrits sur le tableau noir; des textes préparés avec soin, bien expliqués, d'où l'on fera sortir successivement toutes les règles grammaticales, et qui, appris ensuite par les élèves, leur fourniront les mots nécessaires pour qu'ils puissent composer eux-mêmes d'autres phrases à la leçon suivante. »[6]
Remise en question vers fin du 19ème siècle, la méthodologie traditionnelle a fait l’objet d’une longue polémique qui a opposé les traditionalistes aux partisans de la méthodologie directe. Ces derniers portent, en effet, un nouveau regard sur l’enseignement des langues étrangères avec de nouveaux objectifs et de nouvelles démarches pédagogiques plus adaptés aux exigences du moment (le besoin de communiquer, l’ouverture sur l’étranger, la rapidité de l’apprentissage, …).
« Elle a pour objectif principal la pratique de la langue et vise à développer chez les apprenants une compétence de communication réelle et non une connaissance empirique et culturelle de la langue. La méthode traditionnelle a formé des élèves qui connaissent les règles de grammaire et la littérature française, mais elle n’a apparemment pas su former des locuteurs capables de s’exprimer. À cette époque, la nécessité de communiquer engendrée par le développement des moyens de transport et de communication se fait sentir, et les apprenants ne se contentent plus de ce que pourrait offrir la méthode traditionnelle. Le prestige des lettres classiques cède la place aux impératifs pratiques. De plus, il faut préciser que cette méthode était déjà pratiquée par de nombreux précepteurs et répétiteurs dont la langue maternelle n’était pas celle de leur élève. Elle est systématisée et imposée dans les classes en France dès 1902. »[7]
Bien qu’elle soit bannie de l’enseignement institutionnel, la méthodologie traditionnelle inspire encore, selon H. Besse, « les programmes de nombreuses universités et on en retrouve des éléments dans les manuels de langue les plus récents. Ce qui montre qu’elle résiste bien aux critiques dont elle n’a cessé d’être l’objet de la part des pédagogues et des didacticiens ».[8]
[1] Puren, Christian, Histoire des méthodologies de l’enseignement des langues, CLÉ International, Paris, 1988, p 23.
[2] Germain, Claude, Évolution de l’enseignement des langues: 5000 ans d’histoire, CLÉ International, Paris, 1993, p 103
[3] Rodríguez Seara, Ana, « L’évolution des méthodologies dans l’enseignement du français langue étrangère depuis la méthodologie traditionnelle jusqu’à nos jours », In, Revista de Humanidades [En ligne], 1, Article 8, 2001, disponible sur : http://www.uned.es/catudela/revista/index_publi.htm, consulté le 20 avril 2014.
[4] Besse, Henri, Méthodes et pratiques des manuels de langue, Crédif, Didier, Paris, 1992 pp 26-27.
[5] Ibid, p 27.
[6] Puren, Christian, « L'enseignement scolaire des langues vivantes étrangères en France au XIXe siècle ou la naissance d'une didactique », In, Langue française, n°82, 1989. Vers une didactique du français ? Larousse, pp. 8-19
[7] Riquois, Estelle, « Évolutions méthodologiques des manuels et matériels didactiques complémentaires en FLE », Education & Formation, Université de Mons, 2010, pp.129-142.
[8] Besse, Henri, op.cit.