2. La méthodologie directe
La méthodologie directe regroupe l’ensemble des procédés d’enseignement des langues étrangères qui s’est constitué en réaction contre les conceptions de la méthodologie traditionnelle. Ces procédés favorisent, selon Coste et Galisson, les pratiques de l’oral par le recours immédiat et constant à la langue cible « le bain de langue »[1] et mettent en œuvre d’une manière systématique « toutes les activités qui vont amener les apprenants eux-mêmes (méthode active) à parler (méthode orale) directement en langue cible (méthode directe) ».[2] Ces activités permettaient aux élèves de travailler d’une manière plus efficace grâce à des séquences de prise de parole libre notamment par le recours à la méthode active introduite dans les processus d’apprentissage à partir des années 1920.
« Au début de l’apprentissage, le professeur nomme les objets qui se trouvent ou qu’il a amenés dans la classe, ou qu’il désigne sur des illustrations, et les utilise dans des phrases simples dont il illustre la signification de gestes ou de mimes (« Voici le livre », « Je prends le livre », « Tu prends le stylo », « Le livre rouge est sur la table », »…sur la chaise », etc.). Dans un premier temps, l’apprenant répète et réutilise directement ce vocabulaire dans un jeu de questions-réponses, soit avec l’enseignant, soit avec ses condisciples. […] Ensuite, au fur et à mesure des progrès, les pratiques évoluent vers des productions plus libres, plus abstraites, et les mises en scène permettent de dépasser le cadre limité de l’univers de la classe, de ses personnes et de ses objets. […], la méthode directe commence par le vocabulaire et insiste beaucoup sur la prononciation, avant d’en venir aux préoccupations grammaticales. Le choix des formes enseignées, que l’on introduit de manière inductive et souvent implicite, se porte sur le langage courant et oral, l’écrit n’intervient que longtemps après. »[3]
De ce fait, la grammaire y est présentée sous sa forme inductive et implicite : à partir d’exemples bien choisis, on conduit l’apprenant à découvrir tout seul les régularités de certaines formes ou structures grammaticales et à en induire la règle par le recours aux pratiques de dialogue dirigé par l’enseignant ( méthode interrogative). « Le dialogue est souvent de type pédagogique, c’est-à-dire à sens unique, (question du professeur- réponse de l’élève) et la performance de l’élève est moyen de vérification de ses connaissances ».[4]
Lors de cette démarche, les règles de grammaire ne peuvent être explicitées ni dans la langue source, puisque le professeur le refuse, ni vraiment dans la langue cible « puisque les étudiants n’ont appris de cette langue que des mots concrets. On se borne donc, en ordonnant au tableau ou dans le manuel les phrases ou les formes déjà pratiquées par les étudiants, à suggérer visuellement qu’il existe des régularités désinentielles ou de constructions caractéristiques de la L2 : paradigmes de formes et séries d’exemples bien choisis doivent permettre à l’étudiant d’induire (de leur simple observation) la règle, sans que le professeur ait à l’expliquer ou à la formuler ».[5]
La démarche inductive repose de ce fait sur la présentation d’un corpus à découvrir et à examiner. Pour assurer le passage des exemples aux règles, les données linguistiques du corpus doivent être soigneusement sélectionnées au préalable par l’enseignant en tenant compte du niveau de ses élèves. Par leur disposition, ces exemples tendent à illustrer la règle à faire deviner par les apprenants « en s’appuyant sur leur capacité à remonter intuitivement d’exemples donnés aux régularités, organisations ou règles jusqu’alors inconnues ».[6]
Toute règle induite reflète une description linguistique dont l’optimisation assure la compréhension de la nature et du fonctionnement d’un fait de langue particulier que l’élève aura à utiliser par la suite dans des situations de communication. L’identification des éléments du segment souligné par l’élève lui-même permet, d’une part, une meilleure mémorisation et un meilleur réemploi. « La correction grammaticale, d'autre part, ne doit plus être obtenue par l'application pratique et réfléchie des règles théoriques, mais résulter d'un instinct pratique que l'éducation doit créer et cultiver chez l'élève ».[7]
Préconisant un apprentissage d’une L2 dans le but de communiquer, la méthodologie directe tient compte de la motivation de l’apprenant en adoptant des procédés qui prennent en considération ses intérêts, ses besoins et ses capacités. Le processus d’apprentissage suit une progression graduelle qui va du simple au complexe, du concret vers l’abstrait. L’objectif est que l’apprenant pense en langue étrangère le plus tôt possible. C’est pourquoi, le recours à la langue orale est fréquent sans passer par l’intermédiaire de sa forme écrite.
« L'accès à la compréhension étant conçu comme le déchiffrage (facile) d'un rébus, on laisse à l'élève le soin d'induire, de procéder par rapprochements, inférences et analogies. Il faut aussi croire plus au filtrage opéré par celui qui apprend qu'à une sélection linguistique étroite de la part de l'enseignant : loin de limiter le nombre des items présentés ou de respecter une progression stricte, le naturel exige plus de souplesse et veut que le monde offert à la curiosité des élèves soit aussi ouvert que l'autorise la salle de classe. »[8]
La méthodologie directe fut contestée vers l’année 1909 par les enseignants qui doivent fournir énormément d’efforts dans l’acte pédagogique. En effet, l’enseignant, « même quand il s’appuie sur un manuel, doit s’engager, y compris corporellement, dans son enseignement : il doit retenir mots et constructions déjà introduits afin de les réutiliser à bon escient pour expliquer les mots nouveaux, et il doit solliciter constamment les échanges avec les étudiants, parce que c’est à travers ces échanges que ceux-ci apprennent ».[9]
Ces contestations ouvrent la voix vers des réflexions théoriques qui reposent sur les réalités du terrain et qui ont donné naissance à la méthode éclectique résultant, selon E. Riquois, d’un compromis entre méthode traditionnelle et méthode directe. Les démarches pédagogiques relevant de cette nouvelle méthode, appelée aussi « mixte » ou « active », s’installent progressivement et sont attestées en France dans les instructions officielles de 1925.
« Officiellement utilisée jusque dans les années 1960, [la méthodologie directe] replace l’écrit aux côtés de l’oral, et non plus à sa suite, elle autorise l’usage de la langue première pour l’apprentissage du vocabulaire et introduit un apprentissage raisonné de la grammaire [Martinez 96]. La volonté de ses concepteurs est de s’inscrire dans la continuité, puisque l’activité de l’élève, ce caractère actif qui avait donné son nom à la méthode, faisait déjà partie de la méthode directe. Ce souci constant de maintien d’un compromis permet d’éviter les querelles entre anciens et modernes, entre les enseignants adeptes de la méthode directe et ceux qui souhaitaient revenir à des processus d’enseignement plus traditionnels. Il va donner lieu à la création de manuels d’un nouveau type. »[10]
L’évolution des recherches dans le domaine de l’enseignement des langues vivantes étrangères ont permis donc d’introduire progressivement des méthodes ( le mot a le sens d’ensemble de procédés et techniques organisés et orientés[11]) au sein de la méthodologie directe. Il s’agit, d’après P. Martinez, des méthodes suivantes[12] :
Tableau 02 : Procédés (Techniques, Méthodes) utilisés dans la méthodologie directe
Méthode |
Principe |
Objectif |
La méthode interrogative |
Interagir |
Jeu de questions-réponses dirigé par l’enseignant et vise l’identification et le réemploi des formes linguistiques étudiées. |
La méthode intuitive |
Deviner pour comprendre |
Inciter à deviner à partir d’exemples ou illustrations (objets, images, gestes, …) pour dégager la règle. |
La méthode imitative |
Apprendre par imitation |
Apprendre à prononcer, à articuler en imitant l’input oral de l’enseignant. |
La méthode répétitive |
Répétition/Rétention/ Assimilation |
Répéter pour mieux retenir mieux en répétant : -Répétition intensive : faire répéter par plusieurs élèves ce que vient de dire un autre. Répétition extensive : reprise du cours précédent en début de séance.[13] |
L’ensemble des méthodes utilisées fonctionnent dans un dynamisme pédagogique cohérent. Chacune d’elle s’emploie dans une séquence d’apprentissage dans le but de faire travailler au plus haut point les apprenants par l'observation, la découverte, la réflexion, l'expérimentation visant la déduction et la compréhension des règles à retenir et leur réemploi dans des activités de production pour la consolidation des apprentissages.
Schéma 01 : L’organisation interne de la méthodologie directe[14]
Les différentes méthodes utilisées jusqu’à la fin des années soixante ont fortement contribuées à l’essor de l’enseignement des langues. Etant donné qu’elles constituent des unités minimales de cohérence méthodologique, elles sont considérées comme des outils de base de l’analyse didactique et gardent encore de l’intérêt dans les démarches pédagogiques actuelles.
[1] Galisson, Robert et Coste, Daniel, Dictionnaire de Didactique des Langues, Hachette, Paris, 1976, p 154.
[2] Cuq, Jean-Pierre, le dictionnaire de didactique du français langue étrangère et seconde, CLE International, Paris, 2003 p 165.
[3] Defays, Jean-Marc et Deltour, Sarah, Le français langue étrangère et seconde: enseignement et apprentissage, Pierre Mardaga éditeur, Hayen (Belgique), 2003, p.226.
[4] Galisson, Robert et Coste, Daniel, op.cit. p 154.
[5] Besse, Henri, op.cit., p 32
[6] Puren, Christian, « La « méthode », outil de base de l’analyse didactique », In, Guide pour la recherche en didactique des langues et des cultures. Approches contextualisées, Blanchet, Philippe et Chardenet, Patrick (dir.), 2ème édition, Éditions des archives contemporaines. Paris, 2014, p 349.
[7] Lichtenberger, Henri, cité par, Puren, Christian, « L'enseignement scolaire des langues vivantes étrangères en France au XIXe siècle ou la naissance d'une didactique », op.cit.
[8] Coste, Daniel. « Le renouvellement méthodologique dans l'enseignement du français langue étrangère : remarques sur les années 1955-1970 », In, Langue française, n°8, 1970. Apprentissage du français langue étrangère. pp. 7-23, disponible sur : https://www.persee.fr/doc/lfr_0023-8368_1970_num_8_1_5525, consulté le 23.08.2018.
[9] Besse, Henri, op.cit., p 33.
[10] Riquois, Estelle, op.cit.
[11] Martinez, Pierre, La didactique des langues Etrangères, PUF, Paris, 1996, p 53.
[12] Ibid.
[13] Puren, Christian, « Méthodes et constructions méthodologiques dans l’enseignement et l’apprentissage des langues », Les Langues modernes n° 1/2000, Paris, pp. 68-70.
[14] Puren, Christian, Histoire des méthodologies de l’enseignement des langues, op.cit., p 81