3. Les méthodes structuro-béhavioristes
Dans les années 50, le monde a connu une révolution dans le domaine des médias qui a bouleversé les modes de vie. De nouvelles pratiques liées au son et à l’image ont crée un dynamisme dans tous les domaines. Celui de l’enseignement des langues a considérablement évolué grâce à la transposition des innovations technologiques dans les salles de classe. En effet, « des recommandations du ministère de l’Éducation nationale incitent les établissements scolaires à s’équiper de récepteurs de télévision, […] »[1] et des émissions de télévision scolaire hebdomadaires ont été programmées par la RTF (Radiodiffusion-Télévision française) à partir de 1947. Cette évolution traduit en réalité les mutations des sociétés européennes marquées, après la 2ème guerre mondiale, par de profondes transformations qui ont fait naitre des besoins croissants en matière d’éducation.
Dans ce contexte, l’ère de l’enseignement scientifique des langues a débuté avec l’élaboration et la mise en pratique des méthodes structuro-béhavioristes (Bloomfield, 1942 ; Fries, 1945 ; Skinner, 1957 entre autres) qui reposent sur des équipements audiovisuels et les nouvelles orientations de la linguistique dans le domaine de l’enseignent des langues.
« Comme leur nom l’indique, les méthodes d’enseignement des langues étrangères dites « structuro-béhavioristes » sont nées, dans les années cinquante, du mariage de la linguistique structurale et de la psychologie béhavioriste. Elles ont aussi profité, pour se développer, des nouvelles technologies de l’époque en matière d’enregistrement, de supports audiovisuels, de laboratoires de langue… »[2]
Ces nouvelles méthodes ont changé considérablement l’enseignement des langues en lui donnant un caractère rationnel avec la mise en place d’un répertoire d’actions bien déterminées (examen des comportements observables, réactions à des stimuli extérieurs, analyse formelle du langage sur des bases inductives, …) et un équipement technologique qui facilite l’apprentissage (bande sonore, écran, magnétophone, …). Les deux plus grandes méthodes qui se sont développées en bénéficiant des champs de recherche cités et de la révolution médiatique sont les méthodes audio-orales et audiovisuelles.
3-1- La méthodologie audio-orale
Connue au départ sous le nom de « la méthode de l’armée » et née aux Etats-Unis au cours de la deuxième guerre mondiale suite à un besoin pressant d'un enseignement intensif des langues étrangères, cette méthodologie était conçue par le linguiste Leonard Bloomfield (1887-1949) pour former des militaires dans le cadre d’un programme de formation spécialisée de l’armée américaine (ASTP[3]). Des stages intensifs ont eu lieu en 1943 dans une cinquantaine d’universités américaines. Environ 500 cours d'expression orale y ont été dispensés dans plus de 30 langues étrangères.
« C’est cependant cette méthode de l’armée qui suscita ce qui allait devenir la méthode audio-orale, parce qu’elle montrait qu’il était possible d’apprendre à comprendre et à parler une L2 dans un temps relativement court et sans exiger une grande capacité intellectuelle. »[4]
Deux après, le programme ASTP a été brusquement abandonné mais les fondements de la méthode utilisée ont fait l’objet de plusieurs études par les spécialistes à l’image de Nelson Brooks ou encore Robert L. Politzer qui ont travaillé sur des choix d'ordre méthodologique résumés comme suit par Leon A. Jakobovits[5] :
Pour ce qui est de l'enseignement aux débutants, on s'accorde en général sur les options énumérées ci-dessous, même si, dans la pratique, les démarches varient sensiblement :
1. L'apprentissage passe par plusieurs étapes : a) audition et compréhension; b) expression orale; c) lecture (assez tard); d) rédaction...
2. Il n'est pas fait référence à l'écrit dans les premières étapes.
3. L'enseignement de la prononciation exige une exposition auditive intense aux sons nouveaux à percevoir; ceux-ci sont de préférence opposés aux sons voisins de la langue étrangère ou de la langue maternelle; l'entraînement auditif est suivi d'exercices de production, soigneusement composés et pratiqués.
4. Des « phrases-patrons » (pattern sentences) ou phrases modèles servent à introduire et à pratiquer la langue parlée. Chaque « pattern » contient une structure productrice, en d'autres termes, une structure qui, une fois maîtrisée, permettra de générer de nouveaux énoncés par substitution lexicale... Ces « patterns » sont travaillés dans des exercices (drills) conçus pour mettre en évidence les changements de formes ou d'organisation qui se produisent dans les structures; de tels exercices se nomment pattern-drills ou exercices structuraux (structure-drills).
5. Les phrases-modèles sont ou bien d'abord insérées dans un dialogue, ou bien présentées hors-dialogue.
6. Pratiquées jusqu'au « sur-apprentissage », les phrases-modèles deviennent des habitudes quasi-réflexes.
7. On limite strictement la quantité de vocabulaire introduit, jusqu'au moment où un nombre suffisant de structures est acquis pour l'élève.
8. On évite la traduction (qu'il s'agisse d'aller de la langue étrangère vers la langue maternelle ou l'inverse).
Ces principes qui constituent des fondements méthodologiques et qui résultent des recherches entreprises depuis une vingtaine d’années, ouvrent, selon l’auteur, la voix vers un débat qui engagent les tenants de la méthode audio-orale. La discussion portera essentiellement sur quatre points[6] particuliers:
1. Les moyens de franchir le fossé qui existe encore entre « manipulation » et « communication ».
2. L'enseignement du sens et l'emploi de la langue maternelle dans la classe.
3. Le rôle des explications et des récapitulations grammaticales.
4. L'acquisition d'un vocabulaire plus étendu dans les phases ultérieures de l'apprentissage.
L’enseignement de la grammaire repose, selon l’auteur, sur des « pattern » travaillés dans des exercices (drills). Ces phrases se présentent comme un modèle sonore diffusé en classe en utilisant une bande d’enregistrement d’un magnétophone bi-pistes (qui, ultérieurement, seront regroupés en laboratoires de langues)[7]. En écoutant attentivement le modèle, l’apprenant le répète correctement de façon systématique et intensive afin de mémoriser et assurer la généralisation de la structure syntaxique (structure productrice).
Une fois la structure maitrisée, des exercices structuraux (drills) vont lui être proposés pour lui permettre de produire (générer) de nouvelles phrases selon le modèle proposé en le guidant par des exemples préparatoires. L’apprenant va donc procéder à des substitutions, des insertions et des modifications sur le modèle proposé (pattern) dont les fonctionnements sont strictement identiques.
« C’est l’analogie des structures syntaxiques, plutôt que l’analyse, qui sert de fondement à l’apprentissage : à force de pratiquer sur un même pattern syntaxique, l’apprenant est censé en arriver par analogie, et donc par généralisation, à se rendre compte de l’identité de structure entre deux énoncés. Les exercices structuraux visent à faire voir les analogies appropriées comme par exemple :
- Elle va à Montréal. / Elle y va.
- Elle va à Québec. / Elle y va.
- Elle va à Toronto. / Elle y va. »[8]
Ces phrases-modèles deviennent dans ce processus des habitudes quasi-réflexes « comportements machinaux »[9] pour la fixation des constructions morphosyntaxiques de base. Cette pratique permettra à l’apprenant de généraliser l’apprentissage au-delà de ce qu’il a appris.
Ces démarches d’apprentissage sont fondées sur la psychologie béhavioriste (automatisme) et la linguistique distributionnelle (commutation, transformation). Celle-ci repose à son tour sur une analyse du langage (phrase, énoncé) selon deux axes principaux : paradigmatique (vertical) et syntagmatique (horizontal).
Exemple de commutation : Axe paradigmatique
- Ce garçon est très intelligent.
- Le garçon parait très intelligent.
- Mon garçon semble très intelligent.
Les exemples illustrent une opération de commutation en substituant les unités (ce, le, mon) qui appartiennent à la même catégorie grammaticale. Chacun d’eux peut donc se substituer à un autre dans un endroit déterminé de la phrase. Celle-ci est considérée comme une construction décomposable en segments appelés « constituants immédiats »
Exemple de transformation : Axe syntagmatique
- Le garçon lit l’histoire.
- L’histoire est lue par le garçon.
L’analyse en constituants immédiats sur cet axe prend en considération des régularités combinatoires appelées « structures » dont la manipulation de base consiste à passer de l’une à l’autre structure. Ce procédé est la transformation
Ces procédés ont été largement utilisés dans l’apprentissage des langues étrangères en partant de ce qu’on appelle des « phrases-moules » pour aboutir à de nouvelles constructions en adoptant la pratique de la commutation et de la transformation. Cependant, le développement des compétences grammaticales élémentaires ne pouvait suffire pour mener une situation de communication. Cela est du aux objectifs même des exercices structuraux qui ne prennent pas en charge les aspects discursifs puisque les automatismes visés sont fondés sur des structures orales prédéterminées et non situationnelles.
Coste et Galisson confirment ce constat en soulignant que les exercices structuraux « déconnectent en effet le langage du sujet parlant et des situations de discours. L’automatisme se fait alors aux dépens du sens et de la communication ».[10] De son coté, Henri Besse estime à ce propos que les apprenant « ne parvenaient pas à passer de la manipulation guidée des formes étrangères à leur réemploi adéquat en communication réelle : on ne répond pas à un interlocuteur en opérant simplement une substitution ou une transformation sur la phrase qu’il nous adresse : si à la phrase Ferme la porte, on répond comme dans l’exercice : Ferme-la, le risque communicatif est grand».[11]
C’est pourquoi, les spécialistes de l’époque estiment que les exercices structuraux doivent être suivis par d’autres formes d’apprentissage visant d’autres savoirs linguistiques tels que les aspects sémantiques et les rapports lexico-syntaxiques le passage de la simple manipulation à la communication véritable.
3-2- La méthodologie structuro globale audio-visuelle (SGAV)
La méthodologie audio-orale a connu aux Etats-Unis un dynamisme effervescent depuis les années 30 avec les différentes études relevant de la linguistique, de la psychologie et de la pédagogie. Cependant, elle « est restée peu développée en Europe, mais ses procédés d’apprentissage étaient connus »[12] et vont constituer un socle méthodologique pour le développement de la méthodologie audiovisuelle. Celle-ci se fonde donc sur les deux courants théoriques cités plus haut (la linguistique structurale et la psychologie behavioriste) dont les apports ont été résumés par Eddy comme suit :
« Le premier apport de la linguistique structurale a été de fournir des descriptions de l'objet qui constituait précisément l'objectif prioritaire de la nouvelle pédagogie, à savoir la langue parlée en usage ... Le second apport de la linguistique structurale réside sans aucun doute dans la conception de la langue comme système, qui avait été développée par Saussure dès le tout début du siècle. De la psychologie behavioriste, en particulier de la théorie du conditionnement de Skinner, les tenants de la nouvelle méthodologie ont retenu essentiellement la conception de la langue comme un réseau d'habitudes, un jeu d'associations entre des stimuli et des réponses établies par le renforcement dans une situation sociale. »[13]
Construite généralement autour de l'utilisation conjointe de l’image et du son et située méthodologiquement dans le prolongement de la méthode directe, la première génération de la méthodologie audiovisuelle (MAV SGAV) est devenue progressivement dominante en France dans les années 1960-1970 :
- « L'association entre le son et l'image permet de présenter des dialogues dans des situations, de donner des informations situationnelles et de faire accéder l'élève au sens des énoncés d'une manière naturelle. »[14]
-
« Comme
dans la MD donc, c’est dans la MAV directement, sans passer par l’intermédiaire
de la langue maternelle, que le vocabulaire doit être compris ; et c’est
directement aussi, sans passer par l’intermédiaire de la règle, que la
grammaire doit être abordée. »[15]
Ses principes fondamentaux
insistent sur le caractère prioritaire de la communication orale (le français
parlé) en interaction. L’écrit n’est considéré que comme un dérivé de l’oral
et n’apparaît qu'après un certain nombre
d'heures de cours (60 à 70 heures). Dans cette optique, C. Germain souligne que
« l’écrit est considéré comme un phénomène ‘analytique’, alors que
l’essentiel d’une langue, selon les promoteurs de la méthode SGAV, est la
perception ‘globale’ du sens ».[16]
De son coté, H. Besse estime que la notion de ‘structuro-globale’ implique une linguistique de la parole en situation conçue comme un phénomène individuel et aussi social, c’est-à-dire « un ensemble où il est possible de repérer méthodiquement des invariants structurels ».[17] Concernant l’expression structuro-globale, H. Besse souligne qu’elle « n’a pas été toujours bien comprise, et de nombreux praticiens continuent à parler simplement de méthode audio-visuelle, ou plus rarement de méthode situationnelle ce qui est une dénomination plus exacte »[18]
Les supports utilisés dans le processus de l’apprentissage sont aussi nombreux que variés : « films fixes, diapositives ou, plus rarement, tableaux de feutre avec figurines »[19], ce qui va permettre aux apprenants d’agir et d’interagir (méthode active), de s’exprimer (méthode orale) en langue étrangère (méthode directe). Il s’agit donc là d’une combinaison du noyau dur de la méthodologie audio-orale avec celui de la méthodologie directe.
« Là où la MAV semble rompre réellement avec la MD, c’est, sous l’influence probable de la MAO […], dans la censure qu’elle impose sur toute explicitation en enseignement grammatical. Mais malgré la reprise, par certains méthodologues audiovisualistes, de la théorie béhavioriste sur l’acquisition inconsciente des automatismes, les exercices structuraux ont fonctionné en réalité – et c’est sans doute l’une des raisons qui explique leur rapide adoption par les premiers cours audiovisuels – comme une technique d’application de la méthode intuitive intégrale en enseignement grammatical. »[20]
Le premier manuel qui utilise cette méthodologie était publié 1958 et avait pour titre Voix et Images de France (V.I.F.). Il contenait 32 leçons dont chacune contenait trois dialogues portant, selon H. Besse, sur un même centre d’intérêt :
- Le premier, dit sketch introduit, en contexte dialogué, les mots et expressions.
- Le second, appelé mécanisme(s) […] porte plutôt sur la grammaire. Cet exercice a pour but d’entrainer les étudiants au jeu des mécanismes grammaticaux de base, à travers des situations présentées en images. C’est une grammaire essentiellement fonctionnelle […].
- Le troisième dialogue, qui reprend ce qui a été vu dans les deux précédents, insiste surtout sur la phonétique […].[21]
Le deuxième dialogue est consacré à l’apprentissage de la grammaire dite fonctionnelle dont les fondements s’appuient sur l’idée que « le fonctionnement social du langage se reflète dans sa structure linguistique - c'est-à-dire dans l'organisation interne du langage en tant que système ».[22] Cette réflexion repose sur le constat de B. Malinowski (1923) qui estime que « le langage reflète dans sa structure les catégories réelles provenant des attitudes pratiques de l'enfant ».[23] L’auteur pense également que « toutes les utilisations du langage, tout au long des étapes de l'évolution culturelle, ont laissé leurs empreintes sur la structure linguistique ».[24]
La grammaire fonctionnelle tient donc compte de la façon dont la langue est réellement employée dans un contexte de communication. Cette conception est prise en charge dans le cadre des méthodes situationnelles qui permettent de reproduire « plus fidèlement les conditions de la communication langagière ; les méthodes plus « structuralistes » […] centrent davantage l'activité d'apprentissage sur la langue et ses structures que sur les conditions de leur emploi en discours. Cela ne permet pas de gager de la meilleure réussite ».[25]
Les concepteurs de la méthodologie SGAV ont tenu compte de cette réalité et proposent des démarches pédagogiques à travers lesquelles les différentes structures grammaticales retenues sont étudiées et assimilées selon les fonctions qu’elles exercent dans une construction phrastique particulière de la langue cible.
Dans cette démarche, les concepteurs de la méthode optent pour un enseignement inductif favorisant une grammaire plutôt implicite en considérant que « l’analyse grammaticale explicite est sans doute intéressante, même séduisante pour le linguiste, mais elle ne peut être menée à bien que par celui qui connait déjà la langue. Elle est vaine pour l’étudiant débutant qui n’a pas assez d’exemples à sa disposition pour vérifier la remarque ou la règle qu’on lui donne, qui ne peut généraliser, et à qui on ne peut demander de construire la langue en partant de cette règle. Autrement dit, la routine, non plus écrite mais orale, doit précéder les règles, lesquelles ne sont pas totalement exclues, mais remises à plus tard».[26]
L’enseignement de la grammaire accorde, de ce fait, la primauté à la parole au détriment de la langue et se réalise par des séquences de dialogues ou par un ensemble de sous-dialogues visant à entrainer les apprenants au jeu des mécanismes grammaticaux de base, à travers des situations présentées en images. La diffusion des simulations des actes de communication se fait grâce à une combinaison audio-visuelle qui assure « l’emploi méthodique des images qui doivent permettre de faire étudier le français sans recourir à un excès d’analyse ».[27]
Malgré l’ambition affichée des concepteurs de cette méthodologie qui s’est traduit dans l'infrastructure d'une conception didactique prometteuse, ces derniers n’ont pas développé d’une manière consistante les orientations méthodologiques pour l’enseignement de la grammaire. C. Puren parle dans ce sens de « faible niveau initial de théorisation de la MAV »[28], ce qui a rendu difficile l’interprétation de certaines carences observées lors du processus de l’apprentissage :
« Dès le début, l'image, entre autres (dessins sur films fixes, également reproduits dans le livre de l'élève), pose problème. Les erreurs d'interprétation sont nombreuses pour des raisons très diverses, et de toute évidence elles ne suffisent pas à donner le sens global des répliques comme le voulait la théorie ».[29]
Ce constat a été confirmé par plusieurs études menées avec des élèves. Nous citons ici celle réalisée par G. Mialaret et C. Malandain auprès des enfants des écoles primaires, âgés de 7 à 12 ans. L’expérience[30] menée a révélé que 54% seulement d’entre eux ont pu effectuer une synthèse correcte d’une situation représentée par une série de films (03 films). Pour le reste, certains ont effectué des synthèses incorrectes et d’autres encore des synthèses complètement fausses.
C’est pourquoi, les programmes d’enseignement ont fait l’objet d’une révision générale au début des années 70, ce qui a conduit à proposer une nouvelle version des manuels utilisés jusqu’alors en classe de langue et dont l’exploitation ( sur images et sans images) tient compte de nouvelles normes qui ont évoluées entre les deux versions, celles de 1958-1961 et celle de 1971. Parmi les nouvelles dispositions prises dans cette nouvelle version, nous citons à titre d’exemple le renforcement de ce que H. Besse appelle le « déconditionnement ». En effet, l’auteur affirme que « l’exploitation, […] atteste que, s’il y a un certain conditionnement, la leçon audio-visuelle n’est pas terminée tant qu’on n’a pas effectué tout un travail de déconditionnement par rapport aux images et aux dialogues de départ ».[31]
L’exploitation guidée par l’enseignant vise dorénavant le réemploi des acquis et transposition, à laquelle un statut particulier lui a été accordé. H. Besse résume en quatre points les objectifs[32] (à la fois d’ordre psychologique et linguistique) de l’exploitation sur images :
A) Il s’agit d’inciter les étudiants à prendre une certaine distance par rapport aux dialogues et aux images de la leçon, et de leur donner les moyens linguistiques pour exprimer cette distance.
B) Ce qui suppose que les étudiants puissent verbaliser, au moins partiellement, ce qui dans ces dialogues et ces images relève de l’implicite (éléments situationnels, affectivité manifestée par l’intonation ou le rythme, conventions culturelles, etc.).
C) Cette verbalisation ne peut se faire que si les étudiants réemploient non seulement ce qu’ils ont appris dans la leçon du jour, mais aussi une partie de ce qu’ils ont appris dans les leçons antérieures. Elle est donc occasion de révision de l’acquis.
D) Elle est aussi une façon de tester comment l’acquis ancien s’intègre à ce qui est encore en voie d’acquisition(le contenu de la leçon qu’on exploite). Elle permet de déceler les interférences L1/L2 que suscite l’apprentissage des nouvelles formes lexicales et grammaticales. Elle relève certains phénomènes de « désapprentissage » des acquis antérieurs, parce que les étudiants doivent les restituer en fonction du nouveau.
L’exploitation sur images devient, selon, H. Besse, « une sorte de guide pour l’exploitation grammaticale qui va suivre : elle permet au professeur de faire l’inventaire des difficultés réelles des étudiants, et non pas seulement de celles qu’il avait lui-même prévus ou de celles consignées dans la progression du manuel».[33]
Plusieurs adaptations ont été progressivement introduites dans les manuels de langue pour rendre l’apprentissage linguistique plus efficace. L. Porcher dit à ce propos qu’ « il ne s’agit pas d’un français fonctionnel, mais d’un enseignement fonctionnel du français ».[34] En effet, une tendance réformiste commence à s’installer progressivement avec l’apparition de nombreuses études qui proposaient des corrections et des aménagements pour adapter l’enseignement des langues aux nouveaux besoins du public. Le français fonctionnel, objet de l’apprentissage, est fondé sur les besoins langagiers réels des individus.
La recherche en didactique des langues s’oriente donc vers l’analyse des besoins qui précède l’élaboration des cours. « C’est ainsi que la dite « méthodologie des documents authentiques », le travail sur actes de parole ou encore la pédagogie par groupes restreints vont être insérés progressivement dans les cours audiovisuels de la troisième génération ».[35] Ces tendances vont constituer des normes pour les principes pédagogiques de l’approche communicative qui verra le jour quelques années plus tard.
[1] Glikman, Viviane, « Archéologie de la télévision éducative : la dérive d’une action », Laurent Trémel. Les pratiques audiovisuelles, Les Éditions d’un autre genre, pp.19-40, 2009, disponibles sur : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01402562/document, consulté le, 01.03.2019.
[2] Defays, Jean-Marc et Deltour, Sarah, op.cit., p 227.
[3] The Army Specialized Training Program
[4] Besse, Henri, op.cit., p 36
[5] Jakobovits, Leon, A., cité par Coste, Daniel, Op.cit.
[6] Ibid
[7] Besse, Henri, op.cit.
[8] Germain, Claude, Evolution de l’enseignement des langues : 5000 ans d’histoire, op.cit. p 143.
[9] Ibid
[10] Galisson, Robert et Coste, Daniel, op.cit, p 519
[11] Besse, Henri, op.cit. p 38.
[12] Riquois, Estelle, op.cit.
[13] Roulet, Eddy, «L'apport des sciences du langage à la diversification des méthodes d'enseignement des langues secondes en fonction des caractéristiques des publics visés», IN, Revue ELA (Etudes de Linguistique Appliquée), N° 21, Didier, janvier-mars 76, pp. 43-80
[14] Bérard, Evelyne, L'approche communicative Théorie et pratiques, C L E international, Paris, 1991, p 12.
[15] Puren, Christian, Histoire des méthodologies de l’enseignement des langues, op.cit., p 215
[16] Germain, Claude, Évolution de l’enseignement des langues: 5000 ans d’histoire, op.cit. p 154.
[17] Besse, Henri, op.cit. p 42.
[18] Ibid, p 39
[19] Hay, Josiane, op.cit.
[20] Puren, Christian, Histoire des méthodologies de l’enseignement des langues, op.cit. p 222.
[21] Besse, Henri, op.cit. pp 59-60.
[22] Halliday, Michael Alexander Kirkwood. « La base fonctionnelle du langage », In: Langages, 8ᵉ année, n°34, 1974. La linguistique en Grande-Bretagne dans les années soixante. pp. 54-73.
[23] Malinowski, Bronisław, cite par, Halliday, Michael Alexander Kirkwood, ibid.
[24] Ibid.
[25] Porquier, Rémy et Vivès, Robert, « Sur quatre méthodes audio-visuelles », In: Langue française, n°24, 1974. Audio-visuel et enseignement du français, pp. 105-122.
[26] Op.cit. p 82.
[27] Op.cit. p 60.
[28] Puren, Christian, Histoire des méthodologies de l’enseignement des langues, op.cit. p 236.
[29] Hay, Josiane, op.cit.
[30] Mialaret, Gaston et Malandain,Claude. « Etude de la reconstitution d'un récit chez l'enfant à partir d'un film fixe », In: Enfance, tome 15, n°2, 1962. pp. 169-190.
[31] Besse, Henri, op.cit p 80.
[32] Ibid. p 83.
[33] Ibid. p 86
[34] Porcher, Louis, cité par, Galisson, Robert et Besse, Henri, Polémique en didactique, CLE international, Paris, 1980, p 39.
[35] Puren, Christian, Histoire des méthodologies de l’enseignement des langues, op.cit. p 236.