L'approche communicative, ce concept  est apparu pour la première fois en 1975 dans des circonstances relatives aux différentes tentatives d’aménagements qu’a connu  l’enseignement des langues au début des années 70. L’approche commence à prendre forme avec la diversification des orientations théoriques introduites dans ces aménagements.

 « Cette diversification se fait à un moment où la linguistique n'est plus dominée par un grand courant et où se développe un ensemble de disciplines qui se donnent des objets de travail spécifiques: sociolinguistique, psycholinguistique, ethnographie de la communication, analyse de discours, pragmatique ... »[1].

Cet ensemble de disciplines ouvre la voix vers des pistes de réflexions sur les matériaux linguistiques, les objectifs et les  stratégies de l’apprentissage. De ce fait, la linguistique ne constitue plus l’unique discipline de référence pour l’enseignement des langues étrangères. C’est pourquoi, le domaine de la linguistique appliquée a été remplacé en France par celui de didactique des langues étrangères (D.L.E.)

« Le rapport même entre théorie et enseignement des langues étrangères est différent: on n'attend plus d'une discipline théorique qu'elle fournisse un modèle permettant de résoudre les problèmes d'enseignement, mais on va y puiser des outils, des concepts qui sont intégrés par la didactique. […] Il y a désormais un ensemble de disciplines ressources qui permettent à la didactique des langues étrangères (LE) de se forger ses propres concepts. »[2]

Le développement des études en psychologie et notamment du constructivisme et du cognitivisme face au béhaviorisme régnant, ainsi que l’évolution des recherches en linguistique de l’énonciation face au structuralisme dominant, ont permis aux spécialistes de l’enseignement des langues à porter un nouveau regard sur le sujet apprenant qui apprend désormais à son rythme et qui construit lui-même ses compétences en adoptant des stratégies d’apprentissage adaptées à ses capacités et à ses besoins comme le montrent Defays et Deltour dans ces propos :

« Cette méthodologie se caractérise aussi par son éclectisme. Les professeurs – et les élèves, à n’en pas douter – ont trop souffert, par le passé, de l’application rigide, exclusive, du structuralisme et du béhaviorisme. On refuse désormais ce genre de mise en œuvre directe de l’une ou l’autre théorie, et l’on se garde de tout sectarisme. L’approche communicative s’inspire, certes, des changements opérés par la linguistique et la psychologie, mais elle n’en renie pas pour autant les activités du passé. Si l’on ajoute à cela l’attention redoublée que l’on porte aux apprenants, tous différents – certains plutôt sensibles aux supports visuels, d’autres aux supports auditifs, certains privilégiant une vue d’ensemble d’un problème, d’autres s’attachant davantage aux détails, certains aimant travailler seuls, d’autres préférant les exercices de groupes, etc. – on comprend ce parti pris pour la multiplicité des activités et des procédés d’enseignement. »[3]

Tous les procédés cités convergent vers un objectif suprême : il s'agit de mener l'élève à acquérir une « compétence de communication » en langue étrangère, un concept développé par Dell Hymes en 1973 et défini comme «la connaissance (pratique et non nécessairement explicitée) des règles psychologiques, culturelles et sociales qui commandent l'utilisation de la parole dans un cadre social. »[4]

Pour Hymes,  « le comportement verbal n'est qu'un aspect du comportement global dont il ne doit pas être isolé. La communication est donc un phénomène à concevoir dans son ensemble, et non sous un aspect strictement linguistique. Il existe notamment à côté de la compétence grammaticale une compétence d'usage qui permet de juger de l'adéquation des énoncés à la situation. De là découle la notion de compétence de communication,[…] , concept très général englobant l'ensemble des comportements humains,[…] »[5]

Le concept est défini également par Canale et Swain comme incluant trois compétences principales[6]: la compétence grammaticale, la compétence sociolinguistique et la compétence stratégique. Dans le même ordre d’idées,  Sophie Moirand propose une définition plus précise de la compétence de communication en identifiant quatre composantes principales[7]:

-          une composante linguistique, c’est-à-dire la connaissance et l’appropriation (la capacité de les utiliser) des modèles phonétiques, lexicaux, grammaticaux et textuels du système de la langue ;

-          une composante discursive, c'est-à-dire la connaissance et l'appropriation des différents types de discours et de leur organisation en fonction des paramètres de la situation de communication dans laquelle ils sont produits et interprétés;

-          une composante référentielle, c'est-à-dire la connaissance des domaines d'expérience et des objets du monde et de leur relation;

-          une composante socioculturelle, c'est-à-dire la connaissance et l'appropriation des règles sociales et des normes d'interaction entre les individus et les institutions, la connaissance de l'histoire culturelle et des relations entre les objets sociaux.

Les différentes conceptions de la compétence de communication peuvent être résumées comme suit :

 Schéma[8] 01 : Les différentes définitions de la compétence de communication

 

 

COMPÉTENCE DE COMMUNICATION (CC)

 

-          Pour Hymes                     CC = règles linguistiques + règles d'usage

-          Pour Canale et Swain     CC = CL + CS + CST.

-          Pour Sophie Moirand     CC = CL + CD + CR + CS. + actualisation

(phénomènes de compensation, stratégies individuelles

de communication).

 

-          CC :      compétence de communication

-          CL :      compétence linguistique

-          CS :      compétence sociolinguistique

-          CST :   compétence stratégique

-          CD :     compétence discursive

 

 

 

L’enseignement et l’apprentissage de la communication en langue étrangère exige donc des contenus adaptés aux nouveaux objectifs et fait appel à des pratiques enseignantes (l’effet-maître ) qui  mettent en œuvre des activités bien structurées en exploitant « toutes les facettes de la personnalité des apprenants : cognitive, culturelle, affective, relationnelle, etc. »[9]

H. Besse parle dans ce sens de « méthode communicative et cognitive »[10] qui recouvre des pratiques diversifiées et rappelle sous certains aspects les méthodes grammaire traduction, naturelle et directe. Elle est connue également sous le nom de méthode cognitive (surtout aux Etats-Unis), de méthode fonctionnelle, ou notionnelle-fonctionnelle, de méthode communicative, voire de méthode interactionnelle »[11]

« Force est de constater, en effet, qu'il n'existe pas UNE, mais plusieurs conceptions ou interprétations de ce qu'est l'approche communicative. Contrairement à ce qui s'est produit dans le passé à propos de la méthode directe, de la méthode structuro-globale audio-visuelle française (SGAV), de la méthode audio-orale américaine ou de la méthode situationnelle britannique, l'approche communicative ne constitue pas un corps de doctrine homogène sur lequel les didacticiens auraient pu s'entendre, loin de là! C'est pourquoi certains ont plutôt parlé d'un «mouvement » communicatif ou d'une «approche » au sens où on l'entendait autrefois. »[12]

De ce fait, il est demandé aux enseignants de tenir compte dans leurs actes pédagogiques d’un ensemble de considérations[13] pour mener à bien un enseignement de type communicatif de la L2 selon les objectifs tracés par les orientations théoriques de la didactique des langues :

-          Développer et maintenir chez l’apprenant une attitude positive face à l’apprentissage et face à l’emploi de L2. Pour cela, d’une part, il est encouragé à mettre l’accent sur le « message » plutôt que sur la « forme » linguistique, et d’autre part, il doit encourager l’apprenant à « prendre des risques » lorsque celui-ci s’exprime en L2 ;

-          Créer un environnement linguistique riche et varié afin de permettre à l’apprenant d’émettre ses propres hypothèses sur le fonctionnement de L2. L’enseignant se doit alors d’être un modèle, un « facilitateur », et un guide, un peu à l’image des parents vis-à-vis de leurs enfants lors de l’acquisition de la langue maternelle ;

 -          Rendre l’apprentissage « signifiant » (non centré sur la seule forme linguistique) tout en tenant compte de l’âge, des intérêts, et des besoins des apprenants.

Ces nouvelles démarches mettent en avant la langue orale au détriment de l'écrit et de la grammaire. Celle-ci est devenue presque inexistante ou étudiée d’une manière occasionnelle en faisant recours, selon la situation qui se présente, à des éléments grammaticaux rudimentaires. Cela n’a pas été sans conséquences sur le travail des enseignants comme l’explique R.Capré dans ces propos :

« Lorsque sont parues les premières méthodes dites «communicatives», à la fin des années 70 ou au début des années 80, bien des enseignants ont été perturbés. Ils n'y trouvaient plus ni les tableaux structuraux auxquels ils étaient habitués, ni les drills de substitution ou de transformation, ni même les dialogues à répéter et à jouer. Certes, la grammaire était toujours présente, mais sous d'autres formes, liée principalement à des activités d'échange, à des réflexions faites par l'ensemble du groupe-classe, à des contrastes mettant en valeur, en situation, la signification des formes à utiliser. Bref, la grammaire était intégrée dans ces activités que l’on a grossièrement qualifiées de «communicatives». »[14]

Cette « grammaire en situation » incluse dans la communication et enseignée dans le cadre des actes de parole reflétant des situations de la vie courante n’a pas été en faveur d’un enseignement grammatical efficace comme le montrent Jean-Louis Chiss et Jacques David dans les propos suivants.

« Il nous semble que l’éloignement de la grammaire dans l’optique communicative peut être, en premier lieu, attribué à la primauté de fait de l’oral alors que la grammaire était réputée centrée sur l’écrit et utile prioritairement pour la lecture-écriture. Dans ce dispositif, le manque de didactisation des travaux sur la grammaire du français parlé a joué un rôle négatif. Pourquoi, dans les grammaires pédagogiques et parfois dans certaines grammaires de référence, après un siècle de linguistique, la question de la différence des marques linguistiques à l’écrit et à l’oral n’est-elle pas intégrée ? Dès 1970, J. Peytard avait alerté les enseignants de français sur cette question en prenant pour exemples l’accord des adjectifs ou la présentation des conjugaisons… La seconde raison de la distance prise vis-à-vis de la grammaire tient sans doute à l’assimilation ancestrale de cette discipline à la connaissance des règles et à leur verbalisation : de ce point de vue, un débat oppose ceux qui (comme Cuq 2001) considèrent que les règles, à cause de leur caractère normatif, sont un facteur d’insécurité pour l’apprenant et ceux qui (comme Wilmet 2001) estiment au contraire que les règles sécurisent, donnent confiance aux apprenants de langue étrangère. Si l’on attribue d’autres rôles à la grammaire dans l’appropriation linguistique, alors la question de la règle normative se relativise au profit du raisonnement et de l’intériorisation des fonctionnements »[15].

Mais, devant le besoin insistant de l’apprenant qui a montré lors de l’apprentissage de la L2 qu’il ne peut se passer de la grammaire dans les pratiques langagières, les enseignants admettent de ce fait  que la grammaire est une discipline incontournable et demeure un passage obligé pour l’enseignement de la L2, ce qui les a amenés à proposer, sous une forme ou sous une autre, des cours de grammaires hors contexte. Certains les relèguent en fin de séquence d’apprentissage, d’autres les maintiennent au cœur de ces séquences.

Au début des années 80, l’enseignement de la grammaire a fait l’objet d’une révision de la part de certains didacticiens qui se sont rendu compte qu’ « on ne peut envisager l'exercice de [la] compétence de communication sans appui sur la compétence linguistique, en tout cas si l'on poursuit l’objectif d'une véritable maîtrise de la langue étrangère en production et compréhension ».[16]

Cependant, s’il y a « retour de la grammaire » aujourd’hui, « après une phase d’abandon, il s’agit le plus souvent du retour des « règles » de la grammaire traditionnelle. On peut voir ici le symptôme d’une croyance encore largement partagée : il y aurait une contradiction entre le but attribué aujourd’hui à l’enseignement d’une langue étrangère – à savoir la compétence de communication – et l’enseignement de la grammaire, alors que l’accent sur les formes et la relation forme/sens – qui est au centre du travail grammatical – est, en réalité, indispensable pour acter la production/réception des énoncés. »[17]

Cette réflexion a été à l’origine du retour de la grammaire dans les contenus d’enseignements. Mais, il faut attendre la mise en place de l’approche actionnelle pour que la grammaire retrouve sa place dans l’enseignement/apprentissage de la langue étrangère. Marie-Christine Fougerouse explique ce retour en mettant la lumière sur les pratiques des enseignants ainsi que sur leur propre conception de la discipline.

« Actuellement, il s’avère bien difficile de se faire une idée précise des pratiques en usage dans les classes de FLE en ce qui concerne l’enseignement de la grammaire. Cette composante linguistique, qui a connu une période de disgrâce, une sorte de passage à vide dans les années soixante et soixante-dix, semble revenue en force aujourd’hui dans la classe de langue. Ce retour démontre qu’elle est incontournable pour quiconque veut apprendre à communiquer en français. À l’heure où l’éclectisme paraît légitimé, les pratiques les plus hétérogènes se côtoient. Certains enseignants, très marqués par la grammaire notionnelle/fonctionnelle dans la lignée du Niveau-seuil et d’Archipel, pratiquent un enseignement fondé sur le sens ; d’autres, peu convaincus par ces méthodes, sont revenus à une approche beaucoup plus traditionnelle; d’autres encore, dans le doute, tentent de concilier les extrêmes, partagés entre l’attrait pour une démarche onomasiologique et l’influence d’une grammaire (très) traditionnelle qu’ils connaissent et maîtrisent bien. Au milieu de cette confusion, il est difficile de dégager quelques lignes directrices porteuses d’une cohérence génératrice de principes eux-mêmes cohérents pouvant donner lieu à des pratiques de classe plus unifiées, sécurisantes pour l’enseignant comme pour l’apprenant. »[18]



[1] Bérard, Evelyne, op.cit. p 17.

[2] Op.cit.

[3] Defays, Jean-Marc et  Deltour, Sarah, « Spécificités et paradoxes de l’enseignement des langues étrangères dans le contexte scolaire : observation et formation », In, La classe de langue : Théories, méthodes et pratiques, Faraco, Martine (Dir.), pp. 07-22,  disponible sur : http://www2.lpl-aix.fr/~fulltext/2777.pdf, consulté le, 26.05.2018.

[4] Galisson, Robert et Coste, Daniel, op.cit. p 106.

[5] Verdelhan-Bourgade, Michèle, « Compétence de communication et communication de cette compétence »,  In: Langue française, n°70, 1986, Communication et enseignement, pp. 72-86.

[6] Canale M. et Swain M., cités par,

[7] Moirand, Sophie, citée par, Bérard, Evelyne, op.cit. p 19.

[8] Bérard, Evelyne, op.cit. p 20.

[9] Defays, Jean-Marc et  Deltour, Sarah, « Spécificités et paradoxes de l’enseignement des langues étrangères dans le contexte scolaire : observation et formation »,  op.cit.

[10] Besse, Henri, op.cit. p 45.

[11] Ibid

[12] Germain, Claude, Le point sur l'approche communicative en didactique des langues, 2ème édition, CEC (Centre Éducatif et Culturel), Anjou, Québec, 1993, p 03.

[13]Le rôle de l’enseignant suivant le programme de FL2 (niveau secondaire) du Ministère de l’Education du Québec, repris par, Germain, Claude, Évolution de l’enseignement des langues: 5000 ans d’histoire, op.cit. p 206.

 

[14]Capré Raymond, « Descriptions grammaticales et enseignement de la grammaire en français langue étrangère »,In, Présentation du numéro 13 des Cahiers de l 'ILSL (Institut de Linguistique et des Sciences du Langage de l'Université de Lausanne),  N°13, 2002, pp. 1-4.

[15] Chiss, Jean-Louis et David, Jacques « Débats dans l'enseignement-apprentissage de la grammaire », In : Le français aujourd'hui, 2011/5 (n°HS01), p. 129-138. Document disponible sur : https://www.cairn.info/revue-le-francais-aujourd-hui-2011-5-page-129.htm

[16] Capré Raymond, op.cit.

[17] Chiss, Jean-Louis et David, Jacques, op.cit.

[18] Fougerouse, Marie-Christine, « L'enseignement de la grammaire en classe de français langue étrangère », In : Éla. Études de linguistique appliquée, 2001/2 (no 122), p. 165-178, document disponible sur: https://www.cairn.info/revue-ela-2001-2-page-165.htm


Modifié le: dimanche 21 avril 2024, 14:25